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Le roi sortant des eaux

L'eau avait tout envahit. Il faudra finalement quatre bonnes heures au tsunami pour engloutir la cité. Nous nous étions réfugiés sur le plateau de Vespa, qui culminait à 2280 mètres d'altitude.
Les plus faibles et les plus proches de la mer furent les premiers à être emportés par les flots.
A mesure que l'eau montait, elle pénétrait progressivement dans les rues de plus en plus étroites de Serenitia pour finalement atteindre le forum vers dix-sept heures.

Des hauts-parleurs fixés sur les murs de chaque maison hurlèrent toutes les dix minutes de rejoindre le lieu de rendez-vous qui nous avait été donné la veille.
Ma mère me prit dans ses bras et courut aussi vite qu'elle pût pour nous permettre d'embarquer dans le monorail.

Une fois arrivé sur le lieu de rendez-vous, deux pigeons furent lâchés par le chef de notre groupe. Ils portaient tous les deux le même message, indiquant que nous étions bien arrivé.
Nous avions pris avec nous quelques vêtements d'hiver. La nourriture de survie était stocké dans notre bunker. Au-dessus de la porte en acier rivetés était inscrit « DOLCE VITA », comme pour nous faire oublier le triste sort qui nous était réservé.

Nous pénétrâmes à l'intérieur et posâmes nos affaires dans les casiers. Notre chef nous donna un bracelet qui nous permettait d'ouvrir notre casier, ainsi que pour pouvoir manger et boire.
Parmi nous, se trouvait un peintre qui n'avait malheureusement pas su sauver son matériel. Il était assis sur son lit, en larmes, la tête dans ses mains.

Je m'approchai de lui. Il n'émettait qu'un léger son mais je ressentais sa détresse.
- Vous êtes triste, monsieur ?
Il s'arrêta puis leva la tête doucement, les yeux embués de larme.
- J'ai tout perdu. Je n'avais que l'art pour me consoler de la perte de ma femme. Je n'ai pas d'enfants.

L'eau m'a pris ce qu'il me restait. Je ne comprends pas et je ne vois plus de raison de vivre.
- Mais nous sommes là, tous, vous n'êtes pas seul, nous pouvons vous apporter du réconfort.
- Comme tu es gentil, ça me réchauffe un peu le coeur d'entendre ça.
L'homme sortit un mouchoir et essuya les larmes qui coulaient sur son visage.
Soudain, un air de musique que nous connaissions tout résonna dans l'immense structure d'acier et de verre, d'inspiration Art Nouveau. C'était un air de carnaval, celui qui sonne le début des festivités avec l'arrivée du roi Quattrocento sur le forum. Habituellement, il est entonné le 1er jour du printemps.
Des voix masculines se mirent à chanter le fameux air de la « Gondole du roi ». L'histoire voulait que le Roi de Serenitia, alors en fuite depuis l'invasion des Tunisiens le 12 novembre 2360, fit un retour discret à bord d'une gondole un an plus tard, jour pour jour. Il se rendit, habillé en pauvre mendiant, près de sa propre résidence, reconverti en forteresse par Al Amir LaYarhum.
Il neutralisa les gardes et se rendant dans la salle du trône où se reposait le prince. Un combat à mort s'ensuivit, signant la victoire du Roi. Il ordonna le retrait des troupes ennemis et restaura la paix sur Serenitia.
Une farandole improvisée se mit en route et nous reprîmes du courage et de l'enthousiasme.
Nous avions tout perdu, sauf notre foi en la vie.

 

L.P.

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Le peintre et l'étudiant

Voici l’histoire pas banale d’un peintre veuf

Qui s’était fait livrer des chevalets tout neufs.

Il fit alors don des anciens à un jeune étudiant

Qui traînait parmi les pigeons avec ses vieux habits et son misérable talent.

Celui-ci les démantela et en récupéra le vieux bois

Laissant à terre les vis, comme de vulgaires petits pois.

Le lendemain, un cortège de carnavaleux

Passa dans ladite rue, les yeux brillant l’alcool heureux.

L’un d’eux s’arrêta devant la statut du regretté Vespasien

Faisant chuter la reine du cortège, qui était lourde, mine de rien.

Son visage rencontra brutalement quelques uns des bouts métalliques

La défigurant au point de donner à la procession une dimension tragique

Le peintre passa la tête par la fenêtre et assista à son triste sort

L’un des joyeux lurons lui lança : "Si ces vis sont à toi, alors tu mérites la mort !"

L’étudiant, qui s’était mêlé incognito à la foule,

S’exclama :"Ah que je me gondole, tant votre reine ressemble à une sale grosse poule"

Mais ils étaient tellement affairés à aller chercher le pauvre peintre en sa demeure

Qu’ils n’entendirent guère ses vils paroles , et bien d’autres qui allaient lui coûter son malheur.

Car une petite fille et sa mère, aussi belles et adorables qu’au temps du Quattrocento

Avaient par hasard entendu l’étudiant qui, pris en flagrant délit, se tut illico.
Le mal était fait et les témoins rassemblèrent la foule pour leur désigner le vrai coupable

L’étudiant dut avouer sa faute ; on relâcha alors la victime de ce quiproquo regrettable.

La jeune femme s’approcha tendrement du peintre, qui vit dans ses yeux,

La même passion qui animait feu sa femme, au point qu’il en tomba éperduement amoureux.

Sous le charme de ses peintures, elle fit construire un atelier de renommée mondiale

A l’issue d’une dolce vita sans tâche, on couvrit leurs cercueils par d’innombrables fleurs tinctoriales.

 

L.P.

Anchor 13102015

lI étang de marier libellule et business

Ses yeux globuleux me fixaient. Autour d'elle, des libellules se posaient sur les nénuphars, d'autres faisaient un vol stationnaire.

La mare venait d'inaugurer son 4ème mois d'existence et déjà la nature y avait repris ses droits. Il faut dire que mon projet aurait pu finir dans la corbeille du maire.

 

    - Monsieur Albimes, je comprends que vous soyez attaché à cette mare mais, voyez-vous, l'écologie est un problème qui exige de réfléchir aux vraies questions de fond.

   - Monsieur le maire, notre projet s'inscrit dans une démarche de réappropriation des zones désindustrialisées par la nature, ce qui aura pour effet de créer à la fois un écosystème évolutif, une amélioration des sols, de promouvoir une éducation civique et environnementale par le biais d'ateliers découverte et surtout, de tisser des liens forts entre l'Homme et la nature. Et n'oubliez pas la création d'emplois : jardiniers, boutiques de pêche, éducateur, vanneur et d'une économie durable.

   - Ne cherchez pas à me faire tirer des larmes avec votre discours d'hippie, cela ne marche pas. 

D'ailleurs, toutes les multinationales comme la vôtre qui ont pris la peine d'entrer dans mon bureau s'y sont cassés les dents.

   - C'est dommage pour vous et votre ville sinistrée depuis des années par le chômage, la pauvreté et des terrains inconstructibles. Vous n'êtes pas sans savoir que votre ville est construite sur des nappes phréatiques polluées par l'usine de fabrication de colorants alimentaires. 

Notre solution clé en main est étudiée pour répondre à ce genre de problématique. Beaucoup de villes de la région nous font déjà confiance. 

   -  C'est donc vous pour Saint-Etienne, alors ?

   - Exact, et c'est nous aussi pour Auxerre, Dijon, Bourges, Rennes, et Bordeaux. Nous investissons pour l'avenir de l'Humanité, monsieur le maire, ce qui n'est pas le cas de votre commune.

Mon argumentaire était d'une puissance imparable. En effet, l'Etat , depuis 2056, c'était désengagé de son épine dans le pied qu'était l'écologie. Aucune politique gouvernementale n'avait su donner une crédibilité aux théories environnementalistes.

Je venais à l'époque de finir mon MBA en écologie reconstructrice et décidai de monter ma boîte de consultants en écotourisme quand le Premier Ministre m'appela. J'avais les idées et les outils , il avait les moyens. Nos points convergèrent immédiatement et la Geyser Inc. naquit sur cette coopération.

Des commerciaux furent rapidement formés aux techniques de vente pour convaincre les communes de transformer leur ville moribonde en une cité dédiée à la nature. 

Au bout d'un an, l'entreprise prit une telle ampleur que nous décidâmes de la côter en Bourse. En quelques jours, notre cours grimpa de 300 % , entrainant la chute des valeurs sûrs, comme le leader mondial de l'agro-alimentaire et des produits phytosanitaires, tenu pour responsable de catastrophes écologiques et alimentaires planétaires depuis une décennie. 

   - Pas une goutte de votre satanée mare n'ira sur mes terres, vous m'entendez ! harangua le maire en agita les bras.

   - Je vous laisse le choix : soit vous restez maire d'une ville asphyxiée par la désolation et le désengagement de vos citoyens et de l'Etat, soit je vous aide à faire prospérer votre capital nature, vos électeurs, et à conserver votre mandat encore au moins une décennie, voire deux.

Je tournais à peine les talons que j'entendis une voix mielleuse derrière mon épaule. "Attendez", me lança-t-il, pris d'un élan patriotique davantage motivé par le pouvoir que par le bien de sa ville. 

Je lui tendis le contrat qui demandait le droit à mon entreprise d'exploiter les 120 km² de sa commune. En échange, le commune nous versait l'argent, par le biais de généreuses subventions de l'Etat.

Quelques semaines plus tard, les travaux de destruction des bâtiments désaffectés furent entrepris et la mare qui avait fait notre succés fut posée.

Une idée simple mais efficace : industrialiser les éléments de la mare, ce qui passait par l'élevage de batraciens, de libellules et autres insectes dans nos laboratoires de recherche et développement, en partenariat avec l'institut national de recherche agronomique, et ce dans une eau saumâtre de 100000 mètres cubes , oxygénée par des centaines de pieds d'algues.

Nous avions, pour l'occasion, expérimenté une méthode de filtration de eaux polluées, de manière à séparer les polluants de l'eau.

Une vingtaine de mares avaient été reconstituées, ce qui nous donnait suffisamment de volume aqueux pour constituer la première source d'eau "naturbaine". 

Neuf mois plus tard, la voix cristalline de Miss France résonna dans les haut-parleurs lors de l'inauguration de la première chaîne de conditionnement de l' "Eau de Mare".

 

L.P.

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