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Une montgolfière se posa sur l'herbe jaunissant. Je n'en croyais pas mes yeux : une jeune femme blonde aux yeux bridés descendit de la nacelle.

Je fis tomber mon sachet de sucre candy que j'avais acheté quelques heures auparavant. 

  - Homme, je souhaite trouver le chemin.

  - Quel chemin, madame ?

  - Le chemin que je cherche depuis 1523 ans maintenant.

Sa voix puissante mais douce résonnait en moi comme si je la connaissais depuis toujours.

Des pas sourds se rapprochèrent, c'étaient ceux de mes soeurs.

  - Frérot, on est désolé, mais mère est au courant que tu n'es pas rentré à l'heure."

Mes nouilles de soeurs ont habituellement bien du mal à tenir leur langue, mais là, elles ont fait fort.

  - Homme, tes soeurs sont vaniteuses et ne veulent que l'amour exclusif de leur mère pour elles toutes seules.

  -Ton amie est pyschologue ou alors lit-elle dans des boules de cristal ?", répondit l'aînée.

La nacelle devint transparente, et la jeune s'approcha de moi.

Elle posa sa main sur le sommet de mon crâne. J'eu un mouvement de recul, mais voyant qu'elle ne me voulait aucun mal, je me laissai faire.

Je sentis une force monter en moi, se transmettant dans tous mes membres. Je regardai mes mains ; elles portèrent des points noirs. Ces points se rejoignirent pour former des lignes qui traversèrent tout mon corps de la tête au pied, comme sur les illustrations de médecine chinoise que papy me montrait le dimanche après-midi.

Je me mis alors à grandir, tant et si bien que je ne voyais plus que l'ombre de mes soeurs et de la femme qui s'étalait avec démesure.

   - Tu m'as ensorcelé, Femme", dis-je, surpris par ma voix qui était devenue caverneuse.

Mes soeurs reculèrent et hurlèrent de toute leur force.

  - Non, Homme, c'est pour te montrer que tu as une force en toi qui aussi grande à l'extérieur qu'à l'intérieur."

De là où j'étais, je contemplais des paysages inconnus : des montagnes, des forêts, et des arbres de toute sortes : chêne, cerisier japonais, baobab .

Le monde tel que je le voyais en image mais que mère m'interdisait de découvrir. Je pris conscience que mon existence et ma curiosité avait été bridée pour une famille sans coeur.

Je repris alors ma taille et mon apparence physique normale. Les inscriptions sur mon corps disparurent.

Mon sachet était dans les mains de la femme qui, à présent, était de nouveau dans sa nacelle. Elle avait un quelque chose de changé dans son regard, qui luisait de sérénité. 

  - Quel est ton nom ? lui demandais-je en courant vers la montgolfière qui prenait son envol.

  - Rämen.

Ce fut le dernier mot que j'entendai d'elle. Je repris mon sachet qui était par terre, marcha vers la maison et annonça le lendemain que je quittai le foyer familiale pour toujours.

 

L.P.

 

 

 

 

Lâcher-bride  

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Serrures ouvertes

La prison, c'était ma deuxième maison. On m'avait mis en poste dans la même cellule que la fois dernière. Cette fois-ci, il fallait faire connaissance avec un nouveau venu.

En ouvrant la porte, je vis un jeune homme assis sur le lit du bas, plongé dans son jeu vidéo.

Ses pieds touchant à peine le sol et sa corpulence donnaient l'impression qu'il avait douze ans.

  - Bonjour, je suis Bill. Et toi ?

Aucune réponse. Le jeune fixait avec intensité son écran et les divers bruits provenant de la console brisaient les quelques moments de silence pesant qui régnaient dans la pièce.

  - J'ai encore un hamburger dans mon sac. On peut partager si tu veux.

Toujours aucune réponse. Il se mit à racler la gorge. Pensant qu'il allait enfin prendre la parole, je m'approchai de lui et lui tendis la main. Mais là encore, aucun son ne sortit.

Il y avait, sur le mur face aux lits, une affiche prônant l'interdiction de porter une arme en prison. L'arme était un refuge pour tous les primo-arrivants. Cela leur donnait un sentiment de pouvoir, d'emprise sur un monde inconnu. 

  - Tu sais, j'ai fait partie d'un gang, comme toi. Les gens nous surnommaient "les Allumés".

Sans vouloir me vanter, je pouvais me targuer d'être devenu en moins de cinq ans une véritable légende dans la criminalité nocturne dans la cité phocéenne.

J'entamai alors un monologue enflammé sur mes rixes , alors que j'étais adolescent, avec les autres gangs du quartier, les descentes de police hebdomadaires et les gardes à vue qui, au fil des mois et des années, devenaient un passage obligé pour tout nouveau qui rejoignait notre gang. J'étais celui qui avait reçu les plus de coups de cutter sur le visage et avais acquis une réputation de baguarreur. Avec le temps, j'avais obtenu un respect et une admiration sans faille de tous les membres du gang. Tous, sauf un. 

C'était un soir de décembre 2005. Alors que je me balladais en pleine rue, un type portant une cape et un masque déboula, au volant d'une Porsche, et tira à bout portant. Une balle se logea dans ma clavicule gauche, une autre frôla le coeur.

J'avais reconnu le tatouage sur son bras droit : c'était l'emblème de notre gang.

Deux semaines d'hôpital plus tard, je m'étais juré de faire coffrer ce minable. Dix ans après, je pris ma retraite du gang et trouva un boulot dans la sécurité. Je mis mes premières paies de côté et réalisa mon rêve : partir dans le Colorado.

Là-bas, pas de quartiers défavorisés, ni gangs. Les hommes et les femmes y étaient libres, et le vent de l'indépendance et de la liberté soufflait encore.

En un an, j'avais appris à respecter et aimer l'autre. 

Le retour en France fut l'occasion de repartir à la rencontre de l'autre mais sans lâcher mes racines. J'ai donc décidé de devenir gardien de prison.

C'est alors que le jeune éteignit sa console, leva les yeux et prononça ces mots qui résonnèrent dans ma mémoire comme dans les profondeurs des canyons :

  - L'Homme masqué, c'était moi.

 

L.P.

 

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Toréador, prends garde 

Accoudé au bastingage du "Bodega", le paquebot qui avait levé l'ancre ce matin au Havre, je me remémorais les moments passés avec elle : les parties de scrabble arrosées de bières bon marché, les ballades le long des quais de la rive gauche de Paris, les danses improvisées gare Montparnasse au son d'une guitare, les apéros du samedi soir qui n'en finissaient pas.

En y songeant, j'avais passé les plus belles années de ma vie à ses côtés. Alors pourquoi avoir tout gâché ? Pourquoi l'auberge dans laquelle tout a basculé avait organisé cette fête en l'honneur de la saint Patrick alors qu'habituellement il ne se passe rien ?

Pourquoi avoir bu plus que de raison et trinqué avec cette femme, amatrice de flamenco, qui me rappelait le jour où j'ai embrassé ma femme pour la première fois, dans les arènes de Nîmes ?

Pourquoi m'être pris d'une envie de l'embrasser ?

J'aurais voulu que cela n'arrive jamais. 

Un ami m'avait conseillé de partir pour oublier. J'ai davantage le sentiment d'être parti pour m'en rappeler encore plus de mes erreurs passées. 

Quelques heures plus tard, à l'heure du dîner, j'étais accoudé au bar du premier niveau, où un magicien-hypnotiseur animait le repas-spectacle organisé pour les passagers, et qui se faisait appeler Zorro. Il portait  d'ailleurs la tenue du célèbre justicier, lui donnant une certaine crédibilité. 

Il s'adressa à l'audience et désigna une jeune femme au premier rang.

Elle hésita quelques secondes puis, poussée par un homme ( vraisemblablement son mari ), se leva et monta sur scène, aidée par le magicien.

Une fois les sempiternelles phrases de mises en confiance énoncées, elle ferma soudainement les yeux et vacilla légèrement les pieds.

Le public et moi-même retînmes son souffle. 

  - Madame, racontez-nous la plus grande erreur de votre vie.

La question que lui avait posée l'artiste était osé mais la jeune femme réalisa l'exercice avec une force émotionnelle incroyable, comme si elle était en train de vivre l'évènement.

Le lendemain matin, allongé sur un transat, je prenais les rayons du soleil de l'Atlantique.

  - Alors, on farniente ?

Cette voix ne m'était pas inconnue. Je levai les yeux et je ne la reconnus pas tout de suite. 

C'était bien elle, la femme de l'auberge que j'avais culbuté.

  - Les grands esprits se rencontrent encore une fois. Mais cette fois-ci, il ne se passera rien entre nous, lui dis-je en allant me chercher le journal "El Pais". 

J'avais l'impression d'être dans une corrida où je jouais le rôle du taureau, menacé par les banderilles que lançaient son regard pénétrant et envoûtant.

  - Tu n'as rien à craindre. D'ailleurs, mon mari n'est pas à plaindre, bien au contraire. Je l'ai surpris en train de prendre du bon temps avec une spectactrice hier soir. Il n'est pas au courant que je sais tout de sa petite sauterie.

  - Une spectatrice, dis-tu ? Mais, alors, il est ..

  - Magicien-hypnotiseur, oui, c'est lui-même. Sa petite "dopette" n'est autre que sa maîtresse. Enfin, l'officielle. Il en a d'autres et a tout fait pour me cacher la vérité sur ses liaisons.

J'ai d'ailleurs récupéré son carnet de rendez-vous.

Elle me le montra. En feuilletant quelques pages, je lus sur la page de vendredi dernier un prénom qui me fila une décharge électrique : Audrey. Le prénom de ma femme. 

Immédiatement, tout s'éclaira : les retards vaguement expliqués en prenant sa mère comme prétexte, et, depuis cinq mois, sa perte de poids, son maquillage, elle qui n'avait jamais pris la peine de prendre soin d'elle, même dix ans après notre mariage.

Elle avait demandé le divorce, et eu gain de cause.

Mon meilleur ami m'avait offert cette traversée de l'Atlantique pour ne plus y penser.

Il ne se doutait pas qu'elle allait me donner l'occasion de préparer une revanche dont elle allait se souvenir.

 

L.P.

 

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