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Anchor 27042015

Approchez, mesdames et mes yeux !

Penché au-dessus du microscope, je dirigeai le petit miroir de manière à éclairer correctement un duo lame-lamelle dans lequel j'y avais logé une goutte de sang qui avait fait un séjour express dans un bain de colorant.

Des trois grossissements, je choisis le grossissement intermédiaire. Le cliquetis signifiait que l'objectif était bien dans l'alignement entre mon oeil droit et la cible. 

Je coinçai l'oeil sur l'oculaire et fit tourner la mollette de manière à obtenir une image de la goutte la plus nette possible.

Les cellules sanguines, écartées par la pression exercée par la lamelle sur la lame, occupaient toute la surface.

Quelques individus cellulaires étaient mauves à l'intérieur. On aurait cru qu'ils souriaient comme l'auguste qu'on voit toujours sur les affiches de spectacles ambulants.

Les autres protagonistes du spectacle, formés par les globules blancs, semblaient peu concernés, davantage affairés à exécuter quelques exercices de jonglerie avec les plaquettes, aussi petites qu'une tête d'épingle.

Du haut de mon grand chapiteau noir chromé, je déplaçai l'arène pour aller vers les bords de la lamelle, là où se concentrait le gros des cellules. La plupart d'entre elles formaient des rangées bien ordonnées, et quelques-unes avaient leur bébé-plaquette sur les genoux. 

Je passai au plus fort grossissement et modifiai légèrement l'inclinaison du miroir ainsi que le diamètre du diaphragme, de manière à améliorer les contrastes et ainsi mieux observer les parois cellulaires. 

Je me prenais alors pour un genre d'artiste de la science. Je jouai avec la lumière pour révéler à cette âme d'enfant qui, derrière cette blouse blanche d'étudiant, ne voulait au fond pas grandir, que même la plus simple goutte de sang avait une poésie qu'il suffisait de laisser parler par le truchement d'un simple microscope optique. 

Et nul besoin de se déplacer sur des échasses ou de faire vagabonder des chiens dressés à marcher sur leurs pattes arrières : ces acrobates microscopiques, qui peuvent se contortionner à volonté dans la circulation sanguine ou pour boucher des plaies, jongler avec le dioxygène et le dioxyde de carbone, peuvent se targuer de prouesses hors du commun sans accessoires ni entraînement intensif.

Je pouvais être fier d'héberger et de faire vivre au quotidien ces saltimbanques naturels qui me le rendait tout autant.

La cloche retentit.

 - Vous pouvez ranger les microscopes dans le placard au fond, comme d'habitude, dit notre professeur, tout en rangeant ses feuilles jaunies par le temps dans sa valise.

Les uns après les autres, nous posâmes notre antiquité sur son emplacement. Chacune était recouverte d'une protection en toile cirée grisâtre, et craquée près des coutures pour certaines.

De loin, on aurait dit des roulottes miniatures plongées dans la nuit, et prêtes à s'endormir, l'euphorie de ce spectacle vivant passée.

 

L. P.

Carnet d'un voyage inconnu

Anchor 09052015

 - Vos valises seront montées dans votre chambre, monsieur. Bienvenue à Tokyo ! 

La jeune hôtesse s'exprimait dans un français impeccable. Je me dirigeai alors vers la sortie, ma mallette noire dans la main droite tout en esquissant un sourire. De tous les peuples du monde que j'ai eu la chance de rencontrer, les Japonais ont le meilleur sens de l'accueil qui soit.

Face à l'entrée de l'hôtel se tenait un bâtiment dont l'architecture chinoise traditionnelle tranchait avec les lignes infinies des grattes-ciel que les touristes occidentaux prenaient en photo.

Je m'en approchais ; une sculpture, occupant sur toute la surface de la porte, illustrait un dragon jaillissant.

A peine avais-je posé la main dessus qu'elle s'ouvrit. Je pénétrai dans la pièce mais je me retrouvai vite plongé dans un noir profond.

J'avais beau tendre les bras, pas un seul mur, ni une colonne pour me repérer.

Des bruits de pas claquèrent sur le sol à intervalles de temps réguliers.

Je fouillai machinalement dans ma poche gauche et y trouvai une boîte de Ricola. J'eu l'idée de jeter quelques bonbons, espérant qu'ils iraient atterrir quelque part sur un mur.

Mes efforts ne portèrent malheureusement pas leur fruit : aucun son pour m'indiquer le chemin à suivre. 

Je m'apprêtai à rebrousser chemin pour sortir de cet endroit quand je sentis un pointe s'enfoncer doucement dans mon dos.

 - Ose faire un mouvement et ton sang coulera, dit une voix grave provenant d'outre-tombe.

Je sentis une chaleur intense du bout de la pointe.

Des bruissements d'ailes se firent entendirent.

 - Qui êtes-vous ? Et où suis-je ?

 - Tu es dans la maison qu'on ne quitte jamais. Moi, le dragon et le phénix sommes les gardiens de ce lieu.

Il claqua des mains et le noir lassa place à ce qui avait l'air d'une cuisine. L'homme se tourna face à moi ; il était en tenue de cuisinier et ce que j'imaginais être une lance n'était que la pointe d'un couteau. Aucune trace du phénix mais à la place, un sérin qui me fixait du regard.

 - Que veux-tu dans ta soupe ?

La question m'étonna ; je balbutiais quelques mots.

 - Eh bien, je ... j'avoue ne pas trop savoir ... euh ... disons .. du gruyère.

 - Du gruyère ? Je dois avoir cela en réserve. Tu as des goûts culinaires assez curieux, mais soit.

Alors qu'il avait quitté la cuisine, je vis sur la table un petit carnet. La couverture, couleur chocolat, portait des inscriptions chinoises. Je l'ouvris et le feuillettai quand j'aperçu une photo en noir et blanc de moi posant près d'un lac. L'homme qui posait à mes côtés ressemblait trait pour trait à ce brave gardien. 

Derrière nous, le paysage formé par des combes était inondé d'arbres et le ciel semblait sans nuages. Une impression de paix se dégageait de la photo.

Je l'entendis revenir dans la cuisine. Je refermai aussitôt le carnet.

 - Et du gruyère pour la soupe de mon cher invité.

Je m'asseyai et bu la soupe. Elle embaumait la pièce de coriandre et de menthe poivrée.

 - Au fait, tes vêtements sont dans ta chambre, tu mettras ceux que tu portent dans la penderie. Et je ne me suis pas présenté : je suis Ushi. 

Une fois le bol avalé, je me dirigeais et vis les vêtements que Ushi m'avait préparé : c'était les mêmes que sur la photo.

Une fois changé, je me tourna vers un miroir, dans le reflet duquel mon costume et ma malette apparaissaient timidement, posés sur le lit. 

Une vingtaine d'années passé à voyager pour le compte d'une banque mondiale et me voilà atterri ici. 

Je n'avais à aucun moment opposé la moindre résistance. Etait-ce lié à mon sens du service et de la disponibilité qui m'avait permis de devenir le consultant le plus demandé au monde ?

 - Te voilà prêt, mon cher. Nous allons pouvoir commencer ton apprentissage, qui sera loin d'être une sinécure. Mais j'ai bon espoir que, d'ici les cinq prochaines années, tu prennes dignement ma place.

 

L.P.

Des bombes à faire des vagues

Anchor 17052015

Un soir d'été sur la plage déserte d'Honolulu, le soleil rasait la mer et chargeait le ciel de ses derniers rayons, allant du rouge vermillon au jaune or.

La légère brise se levait. Assis pour la dernière fois sur le sable, je contemplai le paysage, un livre de science-fiction acheté sur les quais.

Soudain, je sentis mon téléphone vibrer dans la poche droite de mon short.

Je pris la peine de vérifier le numéro d'appel. C'était Keith.

- Salut Keith, je n'ai pas beaucoup de temps à te consacrer, alors fait vite, je te pries.

Je l'écoutai alors sans dire un mot. Keith avait la voix essoufflée et rauque, séquelle d'une grave maladie des bronches qu'il avait contracté de ses années de tabagisme intensif.

- Je viens d'apprendre de l'Agence que ta femme est recherchée. Elle a un mandat d'arrêt international depuis 10h, heure de New-York.

 L'agence dont Keith parlait, c'était l'A.D.N, l'Agence de Dissuasion Nocturne, qui avait été créée quelques mois après la fin officielle du conflit israélo-palestinien.

En effet, certaines milices palestiniennes qui ne reconnurent pas le traité de paix se mirent à agir de concert et dans l'ombre pour fomenter la division entre les deux peuples.

Leurs intérêts étaient de reprendre des terres dont ils revendiquaient la propriété et qui étaient désertées par l'armée israëlienne depuis dix mois maintetant. Elles avaient alors été déclarées zones internationales libres par le Groupement Mondial des Nations.

Ces milices organisèrent un réseau clandestin de petits laboratoires de quartiers hébergés dans des caves d'immeubles abandonnés après la bataille sanglante de Jérusalem. C'est là qu'elles fabriquaient toutes sortes de petites armes non létales pour empêcher les israéliens de venir occuper ces territoires : pièges à loup, filets et autres gadgets explosifs dissimulables dans le sable.

Malheureusement, le réseau pris de l'ampleur et fit parler de lui, à cause de certains membres, trop ambitieux pour pouvoir tenir leur langue, qui menaçèrent le déroulement des opérations.

 - Je ferais tout pour la protéger. Je rentre demain au pays. Sais-tu où elle est en ce moment ?

 - Je n'ai pas sa position exacte car son téléphone portable a été mis sous surveillance et elle ne l'allume que quelque secondes par jour, pour empêcher les agents du Mossad d'écouter ses conversations mais je pense qu'elle a pris un bateau pour Marseille. Je dois te laisser, on ne sait jamais, je suis peut-être surveillé.

 

 Il raccrocha.

 

Ma femme était notre "pipette", surnom que l'A.D.N lui avait donné car chimiste en chef de notre réseau. Elle concevait les micro-bombes qui servait à la dissuasion.

 

En toute logique, nous savions tous les deux qu'un jour ou l'autre, son talent finirait par lui attirer des ennuis mais la cause qu'elle voulait défendre primait sur la peur.

Aujourd'hui, peu importe les risques, je ne peux plus la laisser se mettre en danger. Je fis une dernière prière à la synagogue. Le lendemain, je pris l'avion pour Marseille.

Quelques heures plus tard, j'appris à l'atterissage qu'un avion en partance pour Honolulu venait de quitter l'aéroport.

Je compris immédiatement qu'elle cherchait à me retrouver là-bas.

 

L.P.

 

 

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