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Ancre 03112015

30 minutes dans cet embouteillage. Autant dire une éternité.

Devant et derrière, on ne pouvait plus bouger. Le contact persistant de l'étiquette sur mon dos n'était pas des plus agréables.

Au loin, le sirop de caramel, le même que celui coulant dans le calice sur l'étiquette, filait droit dans le néant.

Les hauts-parleurs diffusaient des cris, ma peau suintaient d'eau, tant j'avais peur et froid.

Les lumières s'éteignirent, concomittant à un claquement sec.

Soudain, un bruit répétitif et sourd me fit légèrement vibrer. Comme nous étions tous collés, nous hurlâmes nous aussi, en une cascade sonore. Cela ne dira que quelques secondes.

Une moiteur m'envahit et je sentis le vide emplir l'espace alors j'avais pris une relative stabilité sur ce tapis roulant.

L'air sifflait sur ma peau. Il me vint un vertige. Mes bulles chargées de gaz carbonique se mirent à se diviser, à prendre tant de volume que je dus me retenir pour ne pas tout renvoyer par la bouche.

Je m'évanouit. Un grincement de porte me leva de ma torpeur. Vu l'état de délabrement de celle-ci, il y avait fort à parier qu'elle provenait d'une cabane.

Je sentis alors le contact froid du bois sur mon cul. Il faisait aussi sombre que dans un tabernacle ( comme me l'avais raconté une fois un pote ciboire ).

Puis la lumière fut. Je la vis. Elle me regardait, avec sa ravissante tuque mince et verte, son ciel bleu azur parsemé de nuages, ses jambes immenses volants dans les airs. Une légère émulsion de gaz vient se coller à ma peau.

Je tournai la tête pour lire les lettres écrites sous les jupons de cette déesse :

                     Fraîcheur de la vie , 

suivi d'un logo sur lequel sautait un minuscule caribou sur une route sinueuse.

Elle m'avait envouté, ma peau transparente vibrait la chamade.

Un nouveau duo grincement de porte-contact froid. Ils devaient être plusieurs, cinq maigres et un gros au centre.

J'ai à peine le temps de lui dire au revoir qu'on m'emmena de force. Une larme de tristesse coula sur ma peau. J'eus la tête sans dessus dessous et on me vida de ma substance vitale. A la place, on me transfusa un liquide nauséabond, gluant et blanchâtre.

Celui-ci se mit à durcir, au point que ma peau était tendue à l'extrême.

Je volai alors en éclat et me retrouvai dispersé sur le sol.

 

 

- T'es pas bien d'faire des jokes avec cette bouteille ? Reviens à la maison, Vincent, tout de suite !

- C'est pas des jokes, M'man, c'est de l'art !

- Si tu le dis. En attendant, t'arrêtes tes niaiseries et tu viens manger.

 

L.P.

Cette sensation s'appelle Carbonique

Le bitume venait à peine d'être coulé et étalé. Il fallait une patience d'horloger pour supprimer les bulles d'air, de manière à ce que la route soit sans défaut et parfaitement étanche à l'eau et qu'il ne craquelle pas.

Les ouvriers s'affairaient à préparer le mélange noir et fumant. L'odeur piquante qui s'en dégageait me portait aux narines.

Plus tôt dans la matinée, d'autres ouvriers avaient fait table rase de l'ancien revêtement. Au bout de 2 heures, la route était nue et de la terre et des plantes refaisaient surface, impatient de retrouver une liberté de vie après 40 ans dans le noir, comme des zombies prêt à rattraper le temps perdu. Ce spectacle me fascinait, et mon ballon devint le cadet de mes préoccupations pendant toute l'après-midi.

Ma mère, arriva sur la terrasse, un sac contenant une mousse à raser, un épilateur, une crème protectrice et de la lotion apaisante. C'était sa pause réservée à ses appendices moteurs poilus. Elle s'asseya sur la chaise en rotin, déplia une serviette sur le carrelage de la terrasse et y posa ses pieds.

Mon père, arriva quelques minutes après, en tong, torse nu mais en short. Il portait un panier pleins de grenades bien rouges et s'asseya sur le transat, à côté de ma mère. Il prit un couteau dans le panier et coupa en deux une grenade. Il mangea l'intérieur des deux moitiés sans un mot avec une cuillère.

Le téléphone sonnait. Après quelques sonneries, Papa se leva, posa le panier et rentra décrocher le téléphone. C'était marraine Elsa. Elle allait venir demain.

De mon côté, je m'étais approché de la route, mon ballon à la main. Je vis alors des tranchées près de la barrière du voisin et tout autour de sa maison.

Intrigué, je retournais dans le jardin et grimpa sur une pierre afin d'avoir plus de visibilité.

J'avais beau regarder, rien ne me paraissait choquant, ni bizarre.

J'étais sur le point de rentrer jouer quand un son sourd retentit. Soudain, je sentis le sol trembler de plus en plus fort. La maison du voisin se mit à bouger et je vis sa cheminée s'effondrer sur les tuiles, qui volèrent en éclats. Les jonquilles et les légumes du jardin restèrent solidaires du sol qui gagna de l'altitude.

Je compris que les tranchées avaient été creusées dans l'unique but de faire voler la maison.

La luminosité faiblit et, en levant les yeux au ciel, je vis un immense zeppelin, d'où partait des câbles métalliques. Ces derniers étaient fixés partout dans le jardin et sur la maison, de sorte qu'ils tractaient l'ensemble de la propriété.

Mes parents arrivèrent dans le jardin en courant, et me crièrent de rentrer à la maison.

- Je vais appeler le maire, il doit sûrement avoir connaissance de ce truc-là, dit mon père en composant un numéro sur son smartphone.

Une demi-heure plus tard, alors que, de la fenêtre de ma chambre, je voyais le zeppelin qui emportait de toute sa puissance la pauvre maison, une armée de blindés arriva dans la rue. Puis, de toutes les directions, des militaires se réunirent avec des canons.

Une voix résonna alors dans toute la ville :

- Au nom du Roi, nous prenons l'archiduc en otage. Si vous tirez sur nous, nous pulvérisons sa propriété, et lui avec.

Les journalistes locaux puis nationaux arrivèrent sur place quelques minutes plus tard.

Les photographes prirent des photos en rafale.

Le lendemain, tous les crieurs publics de la ville annoncèrent le vol criminel du zeppelin. Une réunion des Alliés se tint dans l'après-midi pour décider d'une attaque de grande envergure. Nous ne le savions pas encore à ce moment-là mais un combat de plusieurs décennies allait être décidé dans les locaux de la mairie de Diujes.

 

L.P. 

Les Ferdinand sont de retour

Ancre 12112015
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