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Nous étions au bas de la tour à 20h27. Le vent commençait à se lever. Une fraîche bourrasque souleva le drapeau qui trônait au-dessus du portique d'entrée.

Les couleurs bleu foncé et or se mélangeaient avec le bleu clair et le blanc des cieux dans une valse pleine d'innocence et de fantaisie.

Je vérifiai une nouvelle fois mon matériel : mousquetons, baudrier, cordes, tout était OK.

- L'ascension commence dans 2 minutes. Toujours pas de journalistes à l'horizon? demandais-je à Tania, celle qui avait organisée ce défi.

- Non, toujours rien, dit-elle en regardant dans ses jumelles.

A peine avait-elle prononcé ce mot qu'une puis deux, puis trois autres fourgonnettes de télévision et de radio se précipitèrent sur la grand'place, en face du building.

Le premier sortit de la celle de Télé IP, une chaîne d'information sur le réseau social Komnect.

Il avait un micro à la main, une tablette tactile dans l'autre. 

- Bonjour, Hervé Pourtin, de Télé IP. C'est bien vous qui devait grimper en haut de la tour Capitale ?

- Oui, c'est bien moi mais je vais devoir entamer l'ascension, dis-je alors que commençais à poser mes mains sur la facade vitrée, à droite du portique.

- Ah, c'est déja l'heure ? 

- Hélas oui, sinon à quoi ça sert que Tania vous ai donné l'heure exact de rendez-vous ?

L'homme alla avertir ses collègues des autres chaînes de ne pas m'approcher.

Je venais de parcourir vingt mètres. Je me retournais et vis à présent que les passants s'arrêtaient pour me regarder grimper.

Un vieil homme, une casquette jaune vissée sur le crâne, me hurla :

- Vas-y, petit, on compte sur toi !

La tour faisait 267 mètres de haut et il me reste 59 mètres. Je sentais mes forces s'amenuir à mesure que je tenais tête à la fois à la gravité et à l'étoile. Je devais m'éponger toutes les minutes et avaler cette pilule antistress que m'avait conseillé le docteur du village.

Je me retournais une dernière fois et fus impressionné par la foule qui s'était maintenant agglutinée sur la grand'place : on aurait dit un tapis de termites qui auraient pris possession d'un nouveau territoire et qui seraient sur le point de dévorer le dernier obstacle se dressant devant eux pour n'en faire qu'une bouchée.

Cette vision me glaça le sang. Soudain, j'entendis un léger bruit ; c'était mon téléphone qui vibrait. Je toucha mon oreillette et décrocha.

- Oui Tania ?

- Ne panique pas, il te reste 37 mètres. L'étoile devrait être dans sa phase de détente dans vingt minutes, ainsi la température pourra suffisamment baisser pour que tu t'approches sans trop de problème en haut de la tour. Il faut juste que tu monte en douceur car, avec le vent, les oscillations pourraient te faire tomber et tu devrais recommencer du début.

- Bien, Tania. Je vais trouver un endroit pour être dans l'axe de l'étoile.Terminé.

- D'accord. Terminé.

Nous raccrochâmes en même temps. Je fis un mouvement du pied pour changer d'appui. C'est alors qu'une de ces oscillations dont m'avait parlé Tania se produisit. 

Je m'accrochais de toutes mes forces sur une des barres de torsions que j'avais insérées pour avoir l'appui nécessaire. Mais celle-ci se décrocha et je me retrouvais dans les airs, à la merci des lois de la physique. 

Le destin aurait pu m'achever quand ma chute s'arrêta net. Je rouvrais les yeux et vis une sphère m'entourer. Je pouvais voir les fenêtres de la tour briller ainsi que le public qui avait les yeux rivés sur moi. La police, la sécurité civile et même une voiture officielle noire du président avaient pris place devant l'entrée de la tour.

Je devais atteindre le sommet de la tour. Je pris donc une longue inspiration et expira l'air que j'avais accumulé de toutes mes forces en direction du sommet. La sphère se mit à bouger et, avec le vent qui se remettais à souffler, se dirigea vers la tour et vint se poser sur la lettre H.

En se posant, la bulle éclata, comme une bulle de savon.

Je pris mon téléphone et appela Tania.

- Allô, Tania ? Je suis en haut de la tour ! Oui, sans que je sache trop pourquoi, une bulle m'a transporté alors que j'avais lâché prise. Bon, je ne perds pas de temps. Terminé.

Je posai mon sac à dos et ouvrit la glissière de la poche principale. J'en sortis une boîte en fer cylindrique, dans laquelle j'y avais mis une fève.

Les fèves que m'avait données le docteur ne devaient s'activer qu'en les croquant une seule fois, au niveau du germe, pour séparer les 2 cotylédons.

Je n'avais pas le choix : la moindre erreur causerait la perte de la planète toute entière. L' Amerique du Nord avait subit la vague de chaleur la plus forte depuis trois siècles et cette étoile, qui avait approché le Soleil, avait généré un champ magnétique puissant capable d'absorber son énergie primaire. 

Je pris la fève et la croqua; elle se brisa comme prévu.

Je sortis un verre, le rempli d'eau et plongea les 2 cotylédons.

La racine se mit à pousser et je sortis le pralin, évidemment pour la protéger. Je la sortis du verre et plaça la racine enduite dans un bocal de terre ayant infusée dans l'engrais qu'avait concocté un ingénieur agronome sud-américain.

Je m'éloignais en direction de la porte de secours et vis une immense plante grandir de manière exponentielle, tant en largeur qu'en hauteur.

La plante devait attendre la hauteur de 4 kilomètres de haut.

Je pris mon élan, couru jusqu'à la plante et monta sur la distance totale. Mes capacités naturelles à résister aux radiations me permirent de m'approcher au plus près de l'étoile.

Celle-ci se mit alors à dévier de sa trajectoire, suite à la création d'une interférence dans le pont magnétique.

Le processus dura 3 heures. Je redescendis en direction de la terre ferme. Je sentais la chaleur diminuer de minute en minute. A minuit, l'étoile avait complètement disparue. Dès l'aurore, le Soleil reprit sa place et les journalistes qui avaient suivis l'événement toute la nuit reprirent l'antenne pour annoncer la bonne nouvelle.

Mais l'apparition de cette bulle continua à me tourmenter.

 

L.P.

Le haricot magique

Ancre 02032016

Une minute venait de s'écouler. Je venais de reposer le combiné du téléphone sur son emplacement. 

Marc arrêta le magnétophone enregistreur et rembobina la bande magnétique au début.

Nous réécoutâmes la conversation afin de détecter d'éventuels indices sur sa position géographique : une voiture, un son de cloche, ou un crissement de frein pouvant provenir d'une rame de métro.

La carte de Paris était étalée sur le bureau de Marc et un premier périmètre avait été délimité au feutre noir : du musée du Louvre, un cercle allant de la place Vendôme au 5ème arrondissement.

La voix de l'homme que nous traquions provenait encore une fois d'une cabine téléphonique.

- D'après le fichier des installations téléphoniques de France Télécom, trente cabines sont implantées dans cette zone, dit Marc en encerclant les rues présentant une cabine.

- Ce n'est pas suffisant, rétorqua le commissaire Ortin. Elles sont trop dispersées dans notre zone d'investigation.

Je continuais de mon côté à scruter la moindre trace audio suspect. Tout était chronométré. Je notais en même temps ce qui me semblait intéressant.

Je pouvais repasser plusieurs fois une même portion de bande pour être sûr de n'avoir oublié aucun indice.

- Ca donne quoi, Kevin ?

- Le gars est malin, les bruits extérieurs sont à peine perceptibles. A croire qu'il connaît nos techniques pour retrouver la provenance d'un coup de fil.

- Ce serait un ripoux, alors ?

- Qu'est-ce qui te fait penser ça ?

- Je ne sais pas, une intuition. Mais je peux me tromper.

- Plus concrètement, j'ai seulement réussit à isoler un son de marteau piqueur sur vingt-sept secondes.

- Marc, renseigne-toi sur les travaux qui sont prévus dans notre zone.

- Bien, commissaire, dit Marc en prenant sa veste et les clés de la voiture de service.

La chaleur écrasante du bureau était une fois par heure interrompue par les boissons fraîches que nous amenaient Sylvie. Mais on l'appelait Simone, parce qu'elle ressemblait trait pour trait à Simone de Beauvoir mais devait porter la tenue règlementaire : pantalon, chemise et cravate obligatoire.

- Toujours pas de pistes sérieuses pour votre enquête sur l'étrangleur ?

- Non, toujours rien, répondit le commissaire.

Nous ne nous étions pas retourné une seconde pour lui adresser la parole mais c'est bien plus tard, au cours du procès, qu'elle reconnut avoir esquissé un sourire de satisfaction.

- Ca va faire un mois que vous êtes sur cette affaire, et vous êtes fatigués. Vous devriez vous reposer un peu. Une journée sans penser à tout ça, cela vous ferait sans doute du bien.

- Hors de question. Et nous ne sommes pas sans rien : regardez sur cette carte, nous savons qu'il a appelé d'une cabine dans ce périmètre, dit-il en indiquant avec son index le cercle noir.

C'est à ce moment qu'un bruit d'explosion résonna dans tout les bureaux de l'étage et nos fenêtres volèrent en éclats.

J'eus le réflexe de m'accroupir près de la table et de sortir mon arme de service.

Le commissaire se précipita sur notre Simone pour la protéger des morceaux de vitres qui filaient droit vers nous.

Le calme revint au bout de trente secondes qui nous parurent une éternité.

- Ma parole, j'ai bien cru à un tremblement de terre, balbutia Simone, qui venait se blottir dans les bras du commissaire.

Elle jouait sacrément bien la comédie, la pauvre Simone.

- Venez, cria Sacha, on vient de trouver les restes d'un sac à dos carbonisé à l'entrée !

Nous décidîmes à toute vitesse l'escalier ; plus nous nous rapprochions de la porte, plus l'odeur était piquante et la fumée passait d'un gris clair à un noir anthracite.

Une heure plus tard, trois agents de la section scientifique avec masque, blouse blanche et gants en latex étaient affairés à récupérer des empreintes sur les morceaux de sacs.

Marc nous avait rejoint.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Quelqu'un a posé une bombe dans un sac devant la porte d'entrée. L'explosion a fait éclaté les vitres du rez-de-chaussé et de l'étage.

- Au moment où nous analysions la conversation téléphonique, dis-je. Je veux bien croire aux coïncidences mais là, c'est plutôt de l'acharnement. 

Un coup de téléphone retentit à l'accueil. Simone décrocha, et énonça le nom du commissariat. Sans un mot, elle passa le combiné au commissaire. Je me saisissai de l'écouteur. La voix de son interlocuteur était celle de la précédente conversation.

- Bonjour cher commissaire. J'espère que vous m'entendez toujours bien, malgré le bruit de la déflagration.

La voix était maintenant plus aigüe que sur le précédent enregistrement.

- Qui êtes-vous ? répondit-il tout en nous faisant signe d'aller chercher le magnétophone.

- Pas si vite, cher commissaire. C'est moi qui ai commandité cet acte de terrorisme, et vous risquez fort de vivre la même journée explosive si vous ne nous livrez pas Matthieu.

Il raccrocha. 

Je repassais la bande du début. Pas un seul son extérieur, comme s'il parlait depuis un lieu confiné ou un studio d'enregistrement.

- Et sa voix, tu as pensé à analyser sa voix ? proposa Marc.

Je n'y avais pas songé. Je récupérais les enregistrements et les confia à un des agents.

- Pourriez-vous me faire une analyse des voix sur ces bandes pour savoir si elles proviennent d'une même personne ?

- D'accord, je vois ce que je peux faire.

Les agents de la police scientifique repartirent après leurs prélèvements.

- Si j'arrive à le coincer, je jure de lui faire subir le même sort qu'André Prévotel.

L'idée d'appliquer le mode radical de contraception à l'auteur des derniers attentats me paraissait exagéré.

- Vous perdez la raison, commissaire, je vous ordonne de vous reposer.

- Simone n'a pas tort. On reste sur le coup, mais vous commencez à délirer.

Le commissaire nous regarda dans les yeux puis poussa un soupir.

- Vous avez sans doute raison, excusez-moi, je ne sais plus ce que je dis. Je vais prendre mes affaires dans le bureau.

Deux jours plus tard, le commissaire revint en meilleure forme.

- Vous avez l'air d'avoir meilleur mine.

- Je n'ai pas l'impression mais si vous le dites. Alors, des nouvelles pour la voix ?

- Oui, commmissaire, dis-je, les analyses sont formelles : les voix sur chacune des bandes sont celles d'une même personne.

- Et de qui s'agit-il ? dit le commissaire tout en serrant les poings.

- On ne sait pas encore. Mais, hier soir, j'ai repensé à votre hypothèse d'un ripoux. Je pense faire enregistrer les voix de tous les agents de police de l'immeuble, nous y compris.

- Même Simone ?

Je pris quelques secondes de réflexion. Simone était quand même une femme. Mais le sexisme qui règne dans le monde du crime ne devait pas nous empêcher de parer à toutes les hypothèses, même les plus farfelues.

- Oui, commissaire, même Simone.

Nous convoquâmes tous les agents. Chacun leur tour, ils durent pénétrer dans la salle d'interrogatoire et lire un texte à haute voix, pendant que j'enregistrait leur voix. 

Quand ce fut le tour de Simone de se prêter à l'exercice, elle s'approcha du magnétophone. Mais au lieu de lire le texte, elle sortit un revolver de poche et le pointa sur sa tempe.

- Ne vous ennuyez pas plus longtemps avec ça, j'avoue tout : c'est ma voix qui se trouve dans tous vos enregistrements.

Le commissaire entra dans la pièce. Simone ne remarqua pas sa présence et continua son monologue.

- D'ailleurs, toutes les conversations ont été enregistrées sur cassette. La lecture et l'arrêt des cassettes étaient déclenchées par le mouvement des aiguilles d'une horloge.

- Mais vous délirez, vous étiez avec nous à chaque coup de fil !

- C'est la vérité. Faites le test et vous comprendrez.

- Et les attentats, c'est ...

- ... mon fils, l'agent Kleber. 

- Kleber, j'en étais sûr ! hurla le commissaire. Simone se retourna, tout en gardant son arme dans la même position.

- Kleber n'a jamais accepté votre nomination à la tête du commissariat. Il voulait vous éliminer à tout pris et tout était prévu mais je tiens trop à lui pour qu'on lui impute la moindre preuve. J'ai donc réalisé le plan qu'il avait mis au point. Pour le protéger. C'est mon seul fils et je suis veuve.

Ma vie, je l'ai mise entre parenthèse pour l'élever seule. J'ai tout fait pour lui.

Le commissaire tenta de la calmer et négocia une trêve, qu'elle accepta, les mots se mélangeant à ses larmes.

Simone se mit à pleurer et laissa tomber son arme, qui vient atterrir aux pieds du commissaire. Il la ramassa avec un mouchoir et me fit signe de la conduire dans le couloir.

Mais à peine avions-nous refermé la porte de  la salle d'interrogatoire qu'un claquement se fit entendre suivi d'un bruit lourd de chute. Je rentrais à nouveau dans la pièce et vit le corps du commissaire à terre.

Je me retournais vers Simone et vit un sourire de satisfaction se dessiner sur son visage.       

 

 

 

L.P.

Mémoires d'une vieille femme dérangée

Ancre 08032016
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