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Mon retour sur le plancher des vaches n’était pas pour me déplaire.

Les semaines qui suivirent me permirent d’aller plus en profondeur dans les origines de ce mal qui m’avait rongé. Je pus remonter en arrière et me souvenir du déroulement des derniers évènements.

L’Inspiration m’avait pourtant était d’un grand secours, même quand je ne l’appelais pas pour autre chose que l’écriture.

Je me rappelai la fois où, au moment de me rendre chez ma soeur, je constatai que ma voiture ne voulait pas démarrer. C’est grâce à elle si j’ai pu trouver l’origine de la panne, à savoir les bougies d’allumage. 

Deux mois avant ma dépression littéraire, j’avais également pu compter sur elle lors d’un contrôle de police, les agents ayant eu la bonne idée de me faire souffler dans le ballon. En effet, alors sur le point de me faire arrêter pour alcoolémie excessive, je remarquai que la date de validité du détecteur chimique était dépassé depuis une journée, rendant invalide tout test, qu’il soit positif ou négatif.

La veille du drame, je venais d'écrire un article sur les traumatismes liés à l’entartage de célébrités ( dont dépression, voire mort ) quand je ressentis les premiers symptômes. A ce moment, je n’avais pas conscience de la gravité de la situation. 

Des amis m’en avait parlé il y a cinq ans lors d’une conférence sur les troubles liés à notre activité de critique littéraire, mais je n’y prêtai à l’époque pas attention.

Mais le lendemain, le miroir de la salle de bains révéla toute l’horreur de cette maladie et l’ampleur du désastre : je perdai mes cheveux par poignée, cherchai constamment mes mots, tant pour appeler mon chat que pour trouver le nom du plat que j’allai déguster. Chaque tentative de me remémorer quelque souvenir se soldait par une douleur atroce au cerveau. J’avais la sensation qu’une punition m’était inlassablement infligée. 

Je consultai alors un médecin spécialisé dans les troubles du cerveau. 

  - Votre cas, monsieur Isidore, devra être traité très rapidement, au risque de perdre toutes vos capacités cérébrales.

  - Vous voulez dire que je risque de ne plus exercer mon ... mon ... m... enfin ce que je fais tous les jours ?

  - Pire que çà, vous deviendrez un « légume ».

Je rentrai chez moi avec, dans un sachet, une boîte de ses mots-cachets qui m’avaient été prescrits. Je commençais alors à ressentir de nouveaux symptômes : lassitude, sensation de vide. Le visage de mes proches commençaient à se détériorer dans ma mémoire. Je sentais comme des éclatements dans ma tête, comme des bulles de gaz remontant à la surface d’un quelconque champagne. 

Soudain, un coup de téléphone retentit :

  - Allô ? Qui que vous soyez, laissez-moi tranquille !

  - Mais c’est moi, Ronald, tu ne me remets pas ?

  - Ronald ? Non, pas du tout ! Enfin, j’espère m’en souvenir un jour… Mais pour l’heure, veuillez raccrocher.

  - Non, attends, tu dois m’écouter ! Je suis comme toi, je partage ta douleur, j’ai moi aussi des problèmes de mémoire. Si tu veux t’en sortir, tu dois me faire confiance. Avale les trucs que le médecin a du te donner. Et ne cherche pas à réfléchir. 

Il raccrocha. Ne pas réfléchir. Ne pas faire ressurgir cette Inspiration. Ce qui m’avait sauvé plus d’une fois la vie était devenu une source de souffrance, m’envoyant des dizaines de cadeaux empoisonnés : ennui, remplacement d’un mot par un autre, résurgence de souvenirs pénibles, comme la mort de ma femme. J’étais devenu un hamster humain, à ceci près que chaque pas de course me faisait souffrir le martyr. 

Je ne devais donc ma survie qu’à ce dernier coup de fil. Sans lui, je n’aurais pas pris la peine de prendre ces mots au sérieux.

 

L.P.

Anchor 24052015

Quand les mots guérissent les maux ( partie 2 )

Anchor 07062015

Au Croissant fertile

La rue Champollion était déserte ce matin. J’observais par la fenêtre du bar en buvant mon petit noir, avec un croissant légèrement bruni, dans une petite assiette en porcelaine dont les décorations étaient légèrement passées.

A l'inverse, le bar était plein à craquer : les habitués d’un côté, agglutinés au bar, les autres clients répartis dans toute la salle.

En ce début de novembre, il faisait déjà 2° au-dessus de zéro. D’ici à la fin de la semaine, on aura vite fait de voir les premiers cristaux de glace sur les vitres.

J’aimais bien regarder les cristaux de glace;  enfant, ma mère venait toujours me chercher quand elle allait en prendre en photo. 

A 7 heures de matin précise, elle posait alors son appareil près d’une vitre, réglait son objectif au niveau d’un des cristaux de glace qu’elle avait vu apparaître.

Puis elle soulevait le voile noir de l’appareil et enfonçait sa tête pour placer ses yeux devant le viseur. Quelques instants après, elle retenait sa respiration afin de mieux se concentrer.

Lorsqu’elle était prête, elle sortait sa main pour appuyer sur la petite poire, reliée à l’appareil par un câble noir. Elle la pressait doucement et un bruit se fit entendre : c’était le bruit du diaphragme, qui laissait entrer la lumière pendant une fraction de seconde, temps suffisant pour permettre à l’image de se former sur la pellicule.

Lorsqu’il avait finit sa prise de vue, elle m’emmenait avec elle dans la salle de développement. Elle plongeait le film photographique dans divers bains.

J’aimais particulièrement le moment où, tel un égyptologue enlevant les dernières traces de sable sur un mur de hiéroglyphes, le cristal de glace apparaissait à mes yeux.

– Tu ne finis pas ton croissant ?

– Comment, qu’est-ce que tu dis ?

– Je te dis : est-ce que je peux finir ton croissant ?

– Oui, vas-y, pas de problème.

Il se régalait, et avalait le croissant à la vitesse d’un éclair.

– Décidément tu manges toujours comme un lion !

– C’est normal, je suis en pleine croissance ! Maman n’arrête pas de me dire que je dois manger, alors je fais ce qu’elle me dit !

– C’est vrai que, pour cela, je ne peux pas lui donner tort. Si tu veux, je peux t’en racheter un autre.

– Oh oui, je les aime tellement !

A le voir manger avec enthousiasme, je me disais que décidément, j’avais de la chance. En effet, peu d’enfants pouvaient se targuer d’avoir tant de vivacité, surtout depuis la dernière vague de naissance il y a 60 ans. 

Les gens autour de moi étaient pour la plupart des personnes âgées. À voir leur tête, on aurait dit qu’ils avaient séjourné dans un sarcophage : des momies vivantes !

– Quand je pense que ça va encore durer plusieurs mois ! Si ça pouvait faire crever quelques-uns d’entre eux, ça ne serait pas du luxe !

– Chut ! Ils vont entendre !

– Et bien, qu’ils m’entendent, ça me fait une belle jambe !

Je vis une affiche, face à moi, près de l’alambic, comme tant d’autres. Mais sur celle-ci été écrit : « Pour inverser la pyramide, prenez Natylamide ! » Sous l’inscription se trouvait un bébé, dans son berceau, tout sourire.

– Dis, papa, tu peux encore me raconter comment j’ai été conçu ?

– Encore ? Bon, si tu veux. Et tu peux boire le lait. 

Il ne se lassait pas d’entendre l’histoire (un peu) romancée de sa création. 

Au commencement était un fleuve, l’Escaut. J’avais un peu honte de le lui dire alors je lui faisait croire que c’était sur le Nil.

Je conduisais  alors la dernière péniche autorisée à circuler avant que n’explose le fret, faisant disparaître le trafic maritime de marchandises et de plaisance.

Sa mère avait eu la chance de tomber enceinte quelques mois plus tôt. Là encore, je devais cacher la vérité en faisant passer mon vulgaire bateau pour un felouque.

C’est au moment où il fallait passer la dernière écluse que les contractions se firent de plus en plus fréquentes.

Malheureusement, il n’y avait pas de maternité prêt de là où nous étions. Nous dûmes appeler les services de renseignements pour avoir l’adresse d’une maternité ou même d’un lieu de repos. Mais là encore, pas de réponse. Nous sortîmes alors de la péniche et courûmes aussi vite que nous pouvions. Quelques minutes plus tard, nous arrivâmes à l’entrée d’une vieille bâtisse.

La paille y était malgré tout abondante. Il fallait se résoudre à l’y faire accoucher.

Au moment de l’accouchement, un grincement de porte se fit entendre.

Je me retournais, et vis trois hommes en tenue de marin.

– Mais qu’est-ce que vous faites ici, nom de nom ? Vous ne voyez donc pas que c’est abandonné !

Je leur expliquais alors que ma femme était enceinte et qu’elle devait absolument donner naissance à notre enfant.

C’est alors qu’ils ramenèrent une bassine d’eau chaude et des serviettes.

L’un deux avait un couteau, qu’il passa à l’alcool à brûler afin de couper le cordon ombilical.

Pour ne pas donner à mon fils l'impression qu'il était né dans la crasse, j’enrobais quelque peu l’histoire et lui faisait croire qu’un chameau,  portant des linges propres et ornés de pierres précieuses, tiré par un nomade et accompagnés de deux égyptiens chargés d’offrandes, se posa près de sa mère, alors accouchant dans le sable. 

– J’étais donc l’enfant des sables ?

– On peut dire ça comme ça, Moïse.

 

L.P.

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