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Le pianiste prenait ses jambes à son coup. Les gars qui lui courraient après avaient un cutter. Il leur devaient de l'argent, beaucoup d'argent. Une partie de poker sur laquelle il avait misé ses derniers cachets de concert.

Encore une fois, il avait perdu. Le long de l'avenue, il longeait quelques maisons de famille pour qui il avait joué. Il se retournait, autant pour voir ses poursuivants que pour vérifier que ses anciens clients n'allaient pas sortir de chez eux et voir son visage tuméfié par la peur.

Il était maintenant à hauteur d'un restaurant oriental. Il eut l'idée d'y pénétrer, pensant que ses créanciers n'iraient pas le chercher dans un endroit improbable.

- Excusez-moi, vous cherchez un serveur maintenant ?

- Euh, oui, on a mis une affiche sur la porte du restaurant.

- Je suis votre homme !

Pour le calmer, le patron lui offrit un thé à la menthe. Il lui racontait sa mésaventure : le poker, et les clients qui paient une misère écouter jouer du classique : Beethoven, Satie, Debussy.

Le patron, dénommé Ryad Ahmidjabar, lui avoua qu'il adorait la musique classique. Il lui proposa un contrat : il travaillait pour lui et, en échange, il lui donnerait des concerts privés. Il n'avait pas d'autre choix que d'accepter.

Il reprit le chemin de mon appartement et pris un rythme de vie plus posé, entre le restaurant et les prestations chez son patron.

Six mois passèrent. Ses anciens poursuivants, qui dirigeaient un cartel de revente de drogues à l'hôtel Mirage de Las Vegas, avaient à sa tête un dur en affaire : il pourrissait la vie de ceux qui leur achetaient de l'héroïne, jusqu'à ce qu'ils payent le prix fort. Il avait décidé de faire la chasse aux mauvais payeurs, ce qui n'était pas étonnant : son père était contrôle fiscal dans l'Etat du Texas.

Son nom était connu de tous les gangs de la ville : Bob E. Camel. Il avait pris ce surnom en référence au chameau car il aimait cet animal : un infatiguable marcheur et un dur à cuire, quelque soit les conditions.

Un de ses sbires lui fit un jour part d'un compte à régler qui restait sur l'ardoise de Stan, le pianiste. 

- Et où peut-on le voir, ce type ?

- Il paraît qu'il bosse dans un restaurant oriental, près d'E. Washington Avenue.

- Nous allons lui rendre une petite visite surprise.

Le lendemain, quatre hommes en costumes noirs et le "Chameau" se pointèrent à l'ouverture du restaurant.

- Un geste et tu meurs d'une balle dans le crâne.

- Bien, monsieur. Vous désirez quoi, au juste ?

- Ton serveur, ton cuistot, ton commis, peu importe qui il est. Mais on veut surtout faire un tour dans ton restaurant, histoire de retrouver une vieille connaissance qui nous doit quelque chose d'important à mes yeux.

- D'accord, mais mon restaurant n'est pas un souk, j'ai de la clientèle qui doit arriver dans une demi-heure.

- Ecoute, j'ai suffisamment d'argent pour racheter ton fonds et le détruire, répondis le "Chameau". Ce dernier le poussa violemment sur le trottoir et pénétra dans le restaurant. 

Il intima les autres de se taire. Soudain, une mélodie se fit entendre. Il ne fallu que quelques notes pour que le Chameau reconnaisse ce morceau : Wonder Wall, d'Oasis. Ce n'était pas tant l'air qu'il connaissait comme tout le monde que la façon de le jouer qu'il appréciait : puissance émotionnelle, silences qui donnent la chair de poule. 

Le son provenait de l'étage. Il monta seul les escaliers. Le son se précisait à mesure qu'il s'approchait de la pièce où Stan répétait.

Elle n'avait pas de porte et ressemblait à un salle de danse. Le piano trônait près d'un des murs. Stan y avait ses habitudes depuis son arrivée : il commençait par s'échauffer avec un petit morceau populaire pour se réveiller les doigts et les neurones.

Le Chameau restait coi. Stan s'arrêta et leva les yeux vers lui.

- Que faites-vous ici ?

- Je ... et bien .. je venais juste vous écouter jouer. 

Un de ses employés cria :

- Chef, vous l'avez trouvé ?

Il ne répondit pas.

- Vous jouez comme ça depuis longtemps ?

- Je suis un peu à part des autres musiciens. Je suis comme un nomade : je joue en fonction de mes envies, je change de style selon mon humeur ou selon l'endroit où je vis. En ce moment, je joue du Paganini car la voisine italienne d'en face ne me laisse pas indifférent.

Les gars arrivèrent dans la pièce. Stan les reconnut : les mêmes qui l'avaient poursuivi six mois auparavant. 

- Vous faites quoi, patron ? Vous lui faites son affaire ?

- Non, cet homme ne mérite pas qu'on s'en prenne à lui. Il a du talent au bout des doigts et s'il y a bien quelque chose qu'on peut lui soutirer, c'est son génie. Cher Stan, venez avec moi, je vous propose quelque chose de beaucoup mieux que de jouer ici.

Les deux hommes descendirent dans la salle, suivi des sbires. Ils quittèrent le restaurant alors que les premiers clients arrivèrent. Ryad, qui avait reprit ses esprits et son poste, avait le sourire aux lèvres.

 

L.P.

 

 

 

      

  

 

La Mélodie du bonheur

Anchor 20092015

Son regard était livide. Il avait froid et ses mains tremblaient.

Le chemin qu'il avait parcouru jusqu'ici était un exploit pour ses frères.

La raison qui l'avait poussé à entreprendre ce périlleux voyage était resté un mystère pour toute sa famille.

Seul son meilleur ami, José, était dans la confidence.

Pour y parvenir, un long travail de préparation physique et mentale fut nécessaire.

Exposition progressive à des milieux inhospitaliers, il ne pouvait compter que sur les exquises tasses de thé au jasmin que lui concoctait Maria, la cuisinière de Valladolid, pour supporter les changements de température.

- Demain, je pars, avait déclaré Alanzo.

- Te voilà prêt, alors ? Tu es sûr que tu ne veux pas encore repasser chez moi ? lui demanda Maria, à la fois excitée et peinée de son annonce.

- J'ai déjà trop attendu. J'aime beaucoup le goût de tes délicieuses baguettes mais le Nord est à 1650 km d'ici. Si je veux atteindre mon objectif, je dois partir demain matin.

Il montra alors le parcours qu'il s'était donné de respecter : Il l'avait nommé Parcours Aventurier vers le Nord : Destination Amsterdam, qu'il nommait toujours PANDA quand il en parlait.

 

C'est à ce moment-là qu'il se réveilla. Le soleil venait de se lever et le vent soufflait, portant l'impression de froid à son paroxysme.

Il consulta sa carte, et vérifiait le reste à parcourir : plus que 200 km pour atteindre Amsterdam.

Un vrombissement de moteur se rapprocha d'Alanzo. Puis un coup de freins fit tourner sa tête en direction de ce qui se révéla être un camionneur.

-Tu veux monter, l'ami ? cria le conducteur, une fois la vitre baissée.

- Merci, monsieur, mais ce ne sera pas nécessaire, je dois finir à pied.

Alanzo ne vit pas l'air interrogé du conducteur.

Ses tribulations l'avaient amené à croiser sur sa route des centaines de camions de ce genre, transportant tantôt des porcs, tantôt des caisses de bambou.

Il prit congés du camionneur et reprit sa route.

Il avait à peine fait quelques mètres quand il s'aperçut qu'il n'avait plus sa carte en main.

Il vérifia dans son sac de voyage mais en vain.

C'est alors qu'il prit conscience du chemin lui restant à effectuer. Il avait l'impression d'être sur une muraille qui n'en finissait pas.

Une sensation d'immense solitude venait d'envahir Alanzo.

 

L.P. 

Faim et froid font capituler  

Ancre 29102015
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