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Anchor 30062015

Eclairé par le grand Ours

Le silence se fit. Je sortis du buisson derrière lequel je m’étais réfugié. L’herbe avait fait place à une croûte épaisse noire et encore fumante. Je dus me mettre un mouchoir sur la bouche et le nez pour éviter de respirer les vapeurs.

Pourtant, rien d’autre n’avait changé : les arbres qui m’entouraient, les oiseaux qui traversaient les cimes à toute vitesse et piaillaient à tout rompre, les rayons du soleil qui plongeaient depuis un ciel sans nuage. 

Je repris mon bâton, qui n’avait rien perdu de sa vivacité et de sa précieuse intelligence. 

- Hubert, éclaire mes pensées et donne-moi le chemin le plus court vers la sortie.

Comme à son habitude, les dizaines de petits spots lumineux bleus scintillèrent. Puis, au fur et à mesure, les voyants passèrent au vert. Une voix sortit du haut du bâton.

- Cher Husky, voici ton chemin pour atteindre la sortie.

C’est alors qu’il projeta dans les airs une immense carte de la forêt en trois dimensions.

- Il te faudra faire particulièrement attention aux loups qui rôdent entre la zone 3 et la zone 6 de la carte, me dit-il en illuminant en orange les zones mentionnées.

Il faut dire que les pièges ne manquaient pas dans cette forêt de Goulag, à 5000 pieds de la cité la plus proche.

- Merci, Hubert, tu peux disposer.

Il éteignit ses lumières mais restait malgré tout sur le qui-vive. Dans le jargon des éclaireurs, on dit qu’il « renifle ». 

Les heures passaient et la carte m’emmena vers la zone 4. Le paysage était similaire à une steppe, comme dans nos livres de géographie terrestre : des herbes à perte de vue sans âme qui vive. 

- L’épreuve suivante est au puits, Hubert.

- Es-tu sûr qu’il y a un puits dans cette immensité ?

- Oui, Hubert.

Je positionnais Hubert à l’horizontal. Une lumière composée d’ultra-violet balaya les environs. Je vis alors des briques formant un cercle. Il n’avait donc pas tort : le puits était bien présent.

- Montre-moi l’énigme, Hubert.

- Tout de suite, cher Husky.

Il envoya simultanément dans le haut-parleur et en visuel le message de notre cher maître, Yku. Le simple fait d’entendre sa voix me remit en mémoire son physique pour le moins impressionnant : un immense corps d’être humain avec un tête d’ours au regard vide, en apparence, en tout cas.

             

             Yku vous donne l’énigme du puits : pour la suivre, il ne faut pas la perdre de vue. Que l’Hydre mâle se reflète dans l’eau et elle vous apparaîtra.

 

Encore une énigme pour les débutants. A peine Hubert avait fini d’émettre le message que je me tournai vers le ciel, constellé de milliers de points lumineux de tailles variées.

- Reste à savoir laquelle isoler mais ce sera facile pour toi, n’est-ce pas, cher Hubert ?

Hubert ne répondit pas. Je sentis alors une lourdeur chez Hubert qui s’intensifia, à telle point qu’elle devenait impossible à tenir en main, tant elle semblait aussi lourde qu’une enclume.

- Hubert ? Réponds-moi ! Hé, Hubert ! Tu m’entends ? Hubert ? HUBERT !

Il venait de s’éteindre. 

Encore ces fichues pénalités ! Si je ne m’étais pas servi du feu dans cette forêt, j’aurais sûrement pu faire appel aux connaissances en astronomie d’Hubert. Ca m’apprendra à outrepasser le règlement.

Il allait falloir me creuser les méninges pour trouver cette étoile polaire

Au bout d’une demi-heure, je n’avais toujours pas trouvé et le froid commençait à se faire sentir. Une moumoute, de la taille d’un caniche, s’approcha : je la pris dans mes bras, m’allongea et l’emmitoufla dans ma cape de voyage.

 

L.P. 

 

 

 

 

Départ volontaire 

Anchor 12072015

Dans une heure, j’aurais tout abandonné. Mes bagages ont été enregistrés et envoyés dans la soute. Une hôtesse, dont seul le sourire professionnel manque pour être dans le ton de la compagnie, me souhaite un bon voyage. Rainbow Airlines, un instant d’évasion qui dure une éternité , c’était quand même ce slogan qui m’a attiré, lorsqu’il y a une semaine, j’avais à me décider d’une destination.

Le low-cost ne me tentait pas et les compagnies qui vous offrent le champagne non plus. 

Pourquoi n’y a-t-il pas une seule compagnie, rien qu’une, du genre Compagnie des Destinations Innombrables, qui n’aurait plus besoin de vanter ses atouts ? Chacun pourra dire : « Pas de panique, je prends un avion de la CDI et j’arrive dans vingt minutes » , ou bien, en plein dans une de ses sempiternelles conversations de table « On a pris la CDI ce matin, çà circulait bien », un peu comme on prendrait la voiture.

Une fois à bord, j’attachai ma ceinture. Une jeune femme, mal fagotée dans son costume d’hôtesse, me servit un jus d’orange dans un gobelet en plastique transparent. 

-  Nous avons en promotion des parfums, monsieur. Cela vous intéresse d’en acheter ?

 La dernière fois que j’ai acheté un parfum, ma peau s’en est mieux souvenue que moi. 

- Non merci, j’ai déjà tout ce qu’il faut.

Je sortis de ma mallette un livre que m’avait donné mon meilleur ami. « Systèmes financiers ou l’échec de l’économie contemporaine », rédigé par ses soins. 

Si la lumière du soleil pénétra subitement par le hublot, juste à côté de moi, ce n’est malheureusement pas elle qui allait réchauffer mon humeur. 

Une humeur massacrante, comme tous les gens autour de moi. La vie n’avait plus aucun sens, le monde était devenu fade. Les spectacles d’humour, qui tournaient à plein régime, crise ou pas crise, avaient perdu de leur utilité d’échappatoire au stress et à la morosité ou de catalyseur d’une euphorie populaire.

Ces derniers mois, mon patron annonçait que les ventes avaient chuté et qu’un plan massif de restructuration était nécessaire pour redresser la barre. Je n’étais certes pas sur la liste des victimes potentielles mais je pris la décision de quitter la boîte. 

Une femme, vraisemblablement la trentaine, avait pris place à côté de moi. Son parfum avait pour caractéristique de faire de l’ombre à celui qu’un individu lambda porte habituellement.

- « Vous auriez mieux fait de prendre une pression, monsieur »,  s’adressa-t-elle à moi en relâchant un léger soupir.

- Et pourquoi donc ?

- La bière a le mérite d’avoir plus de goût que cette pisse orangée que vous buvez.

- Je trouve que vous allez un peu fort, madame, ce jus d’orange est convenable.

En fait, à y réfléchir, il n’était pas si convenable que ça. 

- Je me présente : Sandrine Okunga. Je prends ce vol tous les jours pour me rendre à Melbourne-870. 

- Pour y faire quoi ?

- Je dirige le pôle des primo-arrivants, sur la base de mise en ambiance.

- Justement, c’est là où je dois me rendre.

- Alors, commencez par vous détendre. Dites-vous que le système pourri dans lequel vous étiez il y a encore dix minutes ne sera plus qu’un mauvais souvenir.

Et faites-moi le plaisir de jeter ce livre. Le bonheur commence quand on lâche tout ce à quoi on s’attachait.

- Mais, c’est le livre d’un ami et je …

- Vous voulez continuer à plonger dans votre misérable vie, c’est votre droit. Mais vos amis ne sont que des boulets que votre esprit conserve pour vous rassurer, comme d’une peluche. Mais un jour, il faut faire un choix : vivre éternellement avec votre peluche ou grandir sans lui. 

La voix de la raison avait eu finalement raison de la petite voix qui voulait me tenir tête et, dans moins d’une heure, je m’installerais, comme cette femme, définitivement à Melbourne-870. Elle m’affirmait qu’une période d’essai était nécessaire pour faire la transition entre la vie sur Terre et là-bas.

 

L.P.

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