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Le feu rouge passa au vert sans que j'eus le temps de mettre la musique. Je passai les vitesses à toutes allures, en espérant ne pas les voir dans le rétroviseur.

Le vent sifflait à mesure que je baissais la vitre électrique, puis plus rien. Le calme relatif sur l'autoroute tranchait avec le stress intense qui m'envahissait dans l'habitacle.

Un moustique vint se poser sur le volant. Je glissai doucement ma main gauche tout en tenant fermement ma main droite.

La lumière du soleil, rasant l'horizon, faisait briller ses ailes. On y voyait les nervures, d'un noir profond.

Un souvenir me revint ; j'étais jeune garçon quand mon père m'emmena pour la première fois à la montagne, souhaitant par là me montrer qu'il savait prendre son rôle de père à coeur.

Un dimanche, au lieu d'aller dans une de ses églises de campagnes où peinent à entrer les vieux et vieilles du village, nous fîmes une ballade dans une immense prairie verdoyante, où poussaient les pissenlits et les trèfles.

Après une dizaine de minutes à marcher, mon père s'arrêta.

- Alors, fiston, qu'en dis-tu ? N'est-ce pas là le plus beau des endroits ? 

- Peut-être, je ne sais pas trop.

- Respire profondément, fiston. Ouvre des poumons.

Ce que je fis. L'air qui pénétrait dans mes narines glissa dans mes voies respiratoires. La douceur extrême de cet air me surpris ; j'ecarquillaient les yeux.

- Tu sens l'air couler en toi ?

- Oui, papa. Ca fait du bien.

Une douleur fugace vient flouter ce souvenir. La moustique n'était plus sur le volant. Je vis alors un bouton sur le dos de ma main gauche.

Un son sourd vint briser le silence. Je tournais la tête vers mon tableau de bord : "Shannon" était écrit sur l'écran qui clignotait.

Mon index droit vint cliquer sur le bouton sur lequel était représenté un combiné téléphonique rouge.

Le calme, rien que le calme, que faudrait-il pour avoir, ne serait-ce qu'une minute de calme ?

Je refermais la vitre ; c'est là que je les vis : six motos, six crinières grises chevelues dans le vent, six armes pointées vers le ciel. Soudain, la moto de tête accéléra et vint se mettre à ma hauteur. Il me hurla quelque chose du genre :

- Ta femme est une grosse conne.

Ma rage refit surface. Mes mains se mirent à trembler et ma peau devint une nouvelle fois une tapis de poils, de plus en plus long.

Je n'étais plus moi. 

En revenant à moi, j'étais sur le bas côté, près d'une glissière de sécurité qui était en lambeau. Je me levais avec un mal de crâne atroce et vit mes vêtements sur le sol.

Je fis quelques pas derrière la glissière et vit six corps mutilés. Les membres étaient dispersés sur une dizaine de mètres dans l'herbe verte.

Je respirais profondément. Un semblant d'apaisement pris place dans mon esprit. Il était loin le temps où la montagne était mon refuge physique et spirituel. 

Un nouveau souvenir ressurgit : je me revis, derrière mon père. Il se recueillit devant la tombe de ma mère, Brigitte Moher.

Toute la famille était reparti après le dernier pot, sensé être l'occasion de nous retrouver autour d'un café, en nous remémorant les bons souvenirs.

La pierre tombale portait une photo d'elle qui avait un mélange de beauté et de laideur, comme quand les femmes chics s'enivrent pendant le réveillon du nouvel an. 

Je me rappelais du jour où elle m'offrit le livre Guinness des records. La première image que je vis était celle d'un homme couvert de poils sur toute la peau, faisant de lui l'humain le plus poilu au monde. Son anormalité me fascinait.

Un sifflement aigue et strident me réveilla de ma torpeur. Une ambulance se dirigea vers moi, suivie d'une voiture de police.

- Un signal d'alarme nous a été transmis au niveau de zone de protection numéro 5780. Qui êtes-vous ? Montrez-moi vos papiers. Et rhabillez vous, monsieur, vous allez attraper froid.

- Je crains que ce ne soit difficile à réaliser : mes vêtements sont complètement déchirés.

- Mais vos papiers d'identité sont intactes, j'espère.

- Je vais aller les chercher.

Je n'avais nullement l'intention de me laisser embarquer par ces flics. N'ayant pas mes papiers, ils auraient vite fait de me prélever mes empreintes et de faire le lien avec les accidents précédents qui ont eu lieu la veille.

Je dus me résoudre à repenser à cette soirée de saint-Patrick, là où le pire eut lieu. Un peu trop d'alcool pour mon père, ma colère incontrôlable, ma mère qui tente de protéger celui qu'elle aime. Et le coup fatal. Je ne me souviens plus du reste, à part ce sifflement, celui de l'ambulance qui s'éloigna de la maison.

L.P.

Sous le vent d'autan

Ancre 29062016

- Et maintenant, régalez-vous, messieurs, dames ! dit le maître d'hôtel de sa voix la plus claire et la plus puissante qu'il lui était donné de prendre.

Les cloches se mirent à tinter, comme une seule, sur leur plateau en inox. 

La synchronisation des pas qui suivit cette harmonie sonore était remarquable : deux cent pieds qui virevoltaient à une fréquence militaire, cela ne se voyaient qu'une fois dans sa vie.

- Père, pouvons-nous manger à présent ? demande Blaise, les mains sur la table, à proximité des couverts, comme sur le point de courir un 110 mètres haies.

- Tu peux commencer, mon petit, dit mon père avec un rire jovial.

- Les invités vont enfin pouvoir déguster les plats de Philippe. Comme j'ai hâte de connaître les résultats.

Mon père, que je regardais au loin derrière le rideau qui séparait la salle à manger du vestibule des serviteurs, inspectait attentivement l'assiette qui lui avait été dressée.

- N'allons pas trop vite en besogne, ma chère. Philippe est certes doué mais il n'est pas le seul à concourir.

Blaise avait entamé le coquelet en déchiquetant à la fourchette la peau finement caramélisée qui entourait les cuisses.

- Je n'ose à peine y toucher tant la présentation est fabuleuse, dit ma mère les yeux pétillants.

- Mais goûtez-donc, Philippine, votre plat va refroidir.

C'était tante Hilda. Ses boucles or et grises rebondissaient dans les airs. J'y voyais une marque d'optimisme quant à l'issue du concours.

- Philippe, tu rêves ? Tu devrais déjà te concentrer sur le dessert. Tu penseras à l'argent dans 5 heures, au verdict.

Mon meilleur ami, Alphonse Robertson, était bougrement doué. Ce talent impossible à décortiquer, ces sensations qui l'envahissaient quand le défi lui était posé. 

- Je sais, Bob, je sais, soupirais-je. J'ai l'intention de réaliser des galets de meringues, mais je ne t'en dirais pas plus.

- Monsieur a la compétition chevillée au corps. Et va te préparer, le rideau se tiendra bien tranquille, je te l'assure.

Je refermais les deux pans du rideaux sans regarder davantage la dégustation collective.

Je me dirigeais vers la cuisine où l'équipe 3, dont je faisais partie, était en recherche des ingrédients que le jury leur avait donnés pour la confection du dessert.

Je mis à mon tour les lunettes d'observation, nous permettant de trouver les aliments qui se fondaient dans le décor. 

Soudain, alors que je réglais le zoom sur les 2 objectifs, un coup de coude d'un des commis me fit zoomer à une taille de l'ordre du picomètre.

- Excuse-moi, Phil, me dit-il en ayant du mal à reprendre son souffle.

- Pas grave. 

Mais les dézoomer devint impossible. J'avais beau m'escrimer, rien à faire. Et le coup avait bloqué de le déverrouillage automatique.

Je pris un chemin chaotique, les mains tendues vers l'avant, faisant tomber par mégarde un pot en verre sur la table de travail en sable fin.

- Mes fraises ! hurla un autre commis à l'accent vietnamien fort prononcé.

Pendant dix minutes environ, je marchais sans savoir à quel endroit de la cuisine je me trouvais. Devant mes yeux, je ne voyais que des formes hélicées, des cages constituées de boules qui tournaient sur elle-même à une vitesse prodigieuse en cadence. Malgré les forces que j'exerçaient pour me frayer un passage, le temps semblait différent : un équilibre imperturbable se dévoilait.

A un moment donné, je butai sur une surface solide. Je glissai les mains un peu partout.

Les boules formaient des agencements peu communs. 

- Vous n'auriez pas vu Philippe ? 

- Philippe ? Non, je ne crois pas ... Ah si, j'ai retrouvé son chapeau par terre, près de la réserve.

- C'est étrange, il reste une heure avant la présentation du dessert et il n'a rien sur sa table de travail. Vous êtes sûr de n'avoir rien vu ?

- Non. Désolé, mais il faut que je finisse mon glaçage.

Le froid devenait intense. Mes objectifs étaient toujours bloqués. Mais la plongée forcée dans l'univers de ces boules me donnaient des idées pour le dessert. 

- Le dessert ! hurlais-je. Il faut que je sorte d'ici. 

Je me mis à tambouriner sur la structure mais le froid me faisait mal aux poings.

- Tu as déja fini ?

- C'est un concours, mon gars. Si tu veux gagner, tu vas devoir faire mieux que moi, et ce n'est pas ce soir que tu réussiras.

- Et l'autre, Philippe, tu sais où il est ? Bon, tant pis, je vais aller le chercher, cela m'inquiète vraiment.

- Tu ferais mieux de me passer le petit parasol vert qui est sur ton gâteau plutôt que de penser à lui.

C'est alors que j'entendis des pas. Je me remis à frapper. 

- Il y a quelqu'un ? Philippe ?

- Oui, c'est moi, je suis coincé.

La porte s'ouvrit.

- Mais qu'est-ce que tu fais avec tes lunettes d'observation ? Tu vas rater la préparation du dessert.

- Bob ? Amènes-moi vite à la cuisine, je crois que j'ai une idée de génie.

Il m'emmena dans la cuisine et m'installa devant mon poste.

- Tu saurais me trouver un ordinateur et une imprimante 3D ?

- Un ordinateur ? Nous ne sommes pas en cours d'informatique ! Il y a bien une boutique en face qui en vend. Il te reste combien d'unités ?

- 34800. Et toi ?

- 12790.

- Regarde sur Internet si on a assez pour les acheter.

Bob pris son smartphone et en trouva.

- Nous en aurons assez avec nos unités.

En une demi-heure, je fis l'impression, avec des jets de blancs d'oeufs et de caramels, d'une des structure que j'avais observé par le truchement des objectifs., et ce en cent exemp​laires.

Le signal de fin de l'épreuve retentit et les serveurs se dirigèrent dans la salle avec la même vivacité et la même cadence.

Je repris place devant le rideau et put voir les cellules nerveuses des convives de la salle entière déverser leurs flots de neurotransmetteurs à toute allure.

- A toi le transat sur la côte d'Azur, cher ami, me susurra à l'oreille Bob.

- Je sais, Bob, je sais.

L.P.

Cloche fêlée

Ancre 06072016
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