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Cette eau me fait peur. J'ai les yeux rivés sur elle depuis 20 minutes, à chercher au plus profond de ces milliers de mètres cubes la moindre trace de l'épave du cargo légendaire "The Holland".

Dix ans passés à fouiller les fonds marins de tous les océans, sans la moindre preuve de son existence.

Mon équipage me suit depuis tout ce temps, alors que les plus grands spécialistes de la battelerie me ridiculisent chaque jour davantage sur les réseaux sociaux : "Ne cherchez pas à trouver ce bateau, c'est vous qui allez échouer", "C'est la buée du masque de plongée que vous portez qui vous aveugle face à la vérité des faits", ou encore "Votre quête va tourner au naufrage".

Ma fidèle tenue de plongée, que m'avait offerte mon père pour mes 18 ans, est comme une deuxième peau, que j'enfile pour la nième fois.

C'est au coeur de l'Océan Indien que mon périple doit s'achever sur un coup d'éclat ou un échec retentissant. 

Une légère dépression de la surface de l'eau y a été détectée 6 mois auparavant sur une longueur de 300 mètres. Les scientifiques du laboratoire maritime d'Aix-en-Provence sont persuadés que ce phénomène ne peut s'expliquer que par une rupture anormale du plancher océanique, qui ne peut être causée que par une structure lourde, longue et tranchante. Or, la légende veut que "The Holland" ait navigué pour la dernière fois depuis le port malgache de Toamasina.

J'embarque à présent dans une capsule de verre et d'acier, munie de spots pouvant éclairer le monde aquatique jusqu'à 1500 mètres de profondeur.

Nous nous enfonçons doucement dans les coulisses d'une vie sous-marine où les créatures les plus hideuses ont occupé ses fonds abyssaux. C'est comme si vos pires cauchemars prenaient vie, ou comme une répétition de votre inéluctable déchéance. 

Mètre après mètre, la pression de l'eau se faisait sentir. Je perdis brusquement connaissance, comme une coupure générale de courant. Je revins à moi, un masque à oxygène sur la bouche.

La capsule éclaira une zone rocheuse qui s'étalait à perte de vue. Des rideaux de fumées noires longeait une faille du plancher océanique sur plusieurs dizaines de mètres.

Nous touchions au but. Nous fîmes cap à tribord et suivîmes cette ribambelle de fumerolles chargées de soufre. Pour le coup, l'expression "l'enfer est pavé de bonnes intentions" prenait un tout autre sens.

Enfin, nous nous approchâmes de plaques d'acier de plusieurs mètres carré et vîmes ce qui allait me rendre justice : le blanc du nom "The Holland" avait fait place à du plancton. La structure complète du cargo ne tarda pas à se dévoiler devant nos yeux ébahis : chaque nouvelle portion de l'épave intensifia ma respiration et mon masque devenait couvert de buée.

Nous prîmes un nombre incalculable de photos de ce décor totalement burlesque : "The Holland" encerclé de fumée noir et traversé par des milliers de ces zombies à nageoires. 

De retour à la surface, j'hurlais dans mon masque et me jetais dans les bras de ma femme. Elle avait suivi sur un écran de télévision avec tout l'équipage notre lente progression. 

Six mois plus tard, ceux-là mêmes qui nous avait hués se firent tout petit quand ils pénétrèrent dans la salle de conférence 2B de l'Université d'Aix-en-Provence pour assister à la projection du film sur la découverte de "The Holland". 

Après 2 heures de discours, je reçus l'ovation de la communauté maritime et fut porté en triomphe pour tous les internautes qui m'avaient soutenu dans ma quête de vérité.

 

 

L.P. 

Cargo de nuit

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Anchor 08022015

Je venais de descendre du train en provenance de Reims. Mon demi-frère, un futur grand vigneron, avait grandi avec notre père dans les hauts côteaux du Médoc. Dans la voiture, il ne dit pas un mot. Moi non plus. Il prit les virages tranquillement, passait les vitesses sans générer d'à-coups, respectait les trois secondes au panneau stop. Dans la boîte à gants traînaient des cartes routières, datant des années quatre-vingt : France, Belgique, Allemagne, Limousin, région parisienne, Luxembourg.

Il avait passé sa vie à vendre aux communs des mortels des vins sur toutes les routes d'Europe, alors que je n'ai jamais déposé la moindre goutte de cet alcool sur ma langue.

Arrivés devant une grille, celle-ci s'ouvrit automatiquement vers l'intérieur et nous finîmes notre trajet dans les graviers impeccablement blancs de la cour. Face à nous, une femme qui n'avait pas à rougir de ses charmes, était appuyée, le sourire aux lèvres, sur le rebord d'une des innombrables fenêtes de la demeure, couverte de lierres, dont les feuilles passaient du vert au rouge à mesure qu'on levait les yeux.

Il me fit entrer le premier et je traversai le corridor. C'est en entrant dans le salon que je le vis pour la première fois : posé au milieu d'une console en bois d'acajou de style baroque, encadré, protégé par une vitre de plexiglas, il arborait fièrement le sceau de la loterie nationale. 

"- Ticket numéro 4517820014 du Bingo, cuvée 18 mars 2007 !"

Sur ces mots, il m'offrit un verre de Saint-Emilion. Nous nous asseillâmes dans un canapé, dont le cuir véritable, visiblement entretenu, luisait intensément.

- Si ma femme n'était pas une experte dans l'art de jouer avec les règles d'évasion fiscale, je ne pense pas que tu aurais eu le privilège de goûter à tout ce luxe.

- Je vois que tu étais destiné à être gagnant sur toute la ligne.

Pendant une trentaine de minutes, j'eus droit à une histoire digne d'un roman de Dickens sur le malheur, le gagne-pain qui vous bousille une vie, un hasard qui vous sauve, une "revanche sur l'existence".

Pourtant, malgré le luxe ostentatoire dans lequel il baignait au quotidien, les photos de familles aux relents d'américanisme puritain et les signes d'une addiction réussie au sport automobile, j'avais le sentiment que tout ceci sonnait faux.

Je me levai pour satisfaire un besoin vital quand, en me dirigeant vers les "commodités", je passai devant une porte blanche entrouverte.

La curiosité avait pris le dessus et je l'ouvris doucement. Etonnamment, l'ambiance de la pièce tranchait avec le reste de la maison. Des dizaines de cartons , remplis à ras bord de billets de banque, étaient sans dessus dessous. Ils empestaient l'encre d'imprimerie et portaient tous l'effigie du roi Louis XVI.

J'entendis des pas s'approcher de la pièce, je me mis alors à empoigner quelques billets.

- J'ai fait commander un plateau de fruits de mer pour ce soir, tu n'es pas allergique, au moins ...

J'avais donc raison et tort : quelque chose ne tournait pas rond mais pas pour les raisons que j'imaginais.

Pourquoi ces billets, pourquoi ce besoin d'afficher sa réussite, et, enfin, pourquoi tous ces livres sur les rois d'Europe, écrits par ce Ernst McGeek , de part et d'autre du ticket qui avait fait sa fortune ?

 

L. P.

 

 

 

Billet de confiance

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