top of page

La mer rugit et forme son éternelle écume

Quelques passants courent le long de la plage

Leur chapeaux volent, certains perdent leurs plumes

Les nuages noirs s'accumulent et présagent d'un violent orage

Les bateaux flottent comme les bouchons dans une bassine d'eau
De mon banc j'admire ce calamiteux panorama

De jeunes scouts se réfugient sous un porche, avec à leurs pieds leur sac à dos

A la vue d'une mouette rasant le sol, je sortis mon stroborama

Se laissant porter par le vent, elles laissaient déployer ses ailes

Son élégance et sa trajectoire rectiligne faisait de cet oiseau un modèle

Que la science devrait s'ingénier à étudier avec ardeur

La couverture nuageuse se densifia et occulta le passage des derniers rayons

Ma chambre d'hôtel s'obscurcit : la chambre, noire à présent, me faisait peur

L'oiseau avait quitté mon champ de vision, en se cachant derrière un bus

Je pris dans ma valise mon Daguerréo, type Smith 4, et le dirigeai vers le ciel

Le rayon laser violet fendit l'air et pénétra le milieu d'un des cumulo-nimbus

Un trou béant se forma ; la lumière rejaillit, rendant les bords argentiques

J'allais reprendre mon appareil quand une seiche, gorgée de sépia, surgit du néant

- Merci, humain, ton geste a sauvé ta planète d'une fin apocalyptique

- De rien, je pensais pourtant ne m'en servir que pour du light painting

La seiche fit détruire tous les nuages et fit calmer le vent

Les passants reprirent progressivement leur ballade, d'autres leur jogging

L.P.

Vol en  dessous d'un nid de nuages

Ancre 09102016
Ancre 21102016

Chaque soir, l'abbé Calbet rentrait de sa séance d'exorcisme. Le repos mérité, il prenait un bon repas, en respectant scrupuleusement la cérémonie du pain et du vin.

Mais un soir, la séance qu'il venait d'achever se révéla être plus pénible que d'accoutumée.

La fatigue aidant, il oublia de rompre le pain.

C'est alors qu'une des statues de bois qui trônait près d'un buffet tomba sur le sol. Un tremblement intense s'empara de la statue. Les bras s'allongèrent, puis les jambes et tout le reste du corps firent de même, au point que la statue atteignit le plafond de la cuisine de la demeure du curé.

Celui-ci, prit d'un hurlement d'effroi, était prostré face à l'immense statue.

- Tu as osé sacrifier au cérémonial du pain et du vin. Tu finiras en enfer si tu ne réponds pas de tes actes. Qu'as-tu à dire pour ta défense ?

- O, grand maître, j'implore votre pardon, un pauvre homme comme moi doit subir tous les soirs les assauts des esprits maléfiques. Tous les soirs, je dois les maîtriser et les chasser du manoir.

Le manoir dont parlait notre abbé était celui qui appartenait à un riche commerçant en tissus précieux. Ce dernier l'avait engagé, dix mois auparavant, pour qu'il le débarrasse d'esprits qui rodaient depuis plusieurs mois dans toute sa maison.

- Je n'ose croire à tes balivernes, cher curé. Un homme aussi pieux que toi doit servir de modèle à une communauté et se pervertir au désenvoûtement est condamnable de la pire des morts.

- Par pitié, je suis doué de pouvoirs magiques et c'est pour cela que je pratique cette science : pour sauver les mortels comme moi, qui n'ont pas la chance de posséder ces dons.

La statue, qui se préparaient à le transformer en statue de bois, s'arrêta et réfléchit.

- Des pouvoirs ? J'attends des preuves, cher curé. Si elles arrivent à me convaincre, je te laisses la vie sauve. Tu as vingt-quatre heures pour me préparer une démonstration.

- Merci, o, grand maître.

Le lendemain soir, le curé se rendit au manoir et sonna. Un domestique ouvrit.

- Monsieur le curé n'est plus autorisé à venir voir Monsieur, dit le domestique , après avoir entrebaillé la porte.

- Mais j'ai besoin de le voir, lui seul peut m'éviter la mort. Après tout ce que j'ai fait pour lui, je trouve cela justifié.

- Il est arrivé malheur à Monsieur. Un des esprits, ressemblant à vous, s'en ait pris à Monsieur et l'a envoûté. Il est maintenant dans le salon privé, en train de brûler les bustes de sa famille.

- Mon Dieu, mais c'est impossible, comme une telle absurdité a-t-elle pu se produire ? Il s'agit sans doute d'un esprit particulièrement malin.

- Peu importe, il s'est emparé de Monsieur et vous n'êtes plus le bienvenu. 

Le domestique referma brutalement la porte, laissant le curé dehors.

- C'est incompréhensible, dit le curé. J'ai l'impression que, lui aussi, a été envoûté par un des esprits.

Il ne lui restait que deux heures pour faire ses preuves face à la statue de bois, qui avait depuis ce matin repris sa forme initiale et qu'il avait emporté avec lui.

Devant la porte close du manoir, il dut se résoudre à faire travailler ses méninges pour se sortir de cette situation.

Il se balada dans la cimetière et, alors qu'il longeait le cimetière, s'arrêta devant une petite chapelle.

Le curé se dirigea vers l'entrée de la chapelle et vit un vieil homme chauve qui taillait des statues tombales.

- Bienvenue, cher curé, je sens que vous avez besoin d'un coup de main, je me trompes ?

- On ne peut pas vous donner tort. Je dois prouver à cette statue de bois que j'ai des pouvoirs sur les humains, sinon je vais brûler en enfer.

Le vieillard posa son ciseau à bois et prit la statue.

- Cette statue a appartenu à un comte qui est mort dans son salon, et on a retrouvé des tableaux et des bustes calcinés.

- Comme le maître du manoir. Vous pensez qu'il peut y avoir un lien entre cette statue et l'envoûtement soudain du maître ?

A peine l'artisan avait pris la statue qu'elle se mit à bouger comme la veille, puis reprit sa taille gigantesque.

- Il est l'heure, cher curé, de montrer que tu es doué de pouvoirs. 

- Vous avez voulu me piéger en m'interdisant d'aller voir mon maître. Vous l'avez envoûté  pour le forcer à détruire ses objets de famille. Pourquoi être aussi cruel ?

- Mon maître avait des pouvoirs qui l'ont dépassé et m'a transformé en statue de bois. Vous seul avez ces pouvoirs pour me rendre ma vraie forme. Montrez-moi vos pouvoirs et je serais libéré.

Le curé n'avait jamais pratiqué ailleurs que chez son maître et la panique s'empara de lui.

Il eut alors l'idée d'utiliser le vieillard pour sa démonstration.

- Je sais détecter les esprits maléfiques et votre corps est propice à un envoûtement.

Le curé appela les esprits. Le vieillard, qui ne les voyait, fut pris de convulsions dans tous ses membres et hurla.

- Esprit, je vous exhorte de quitter le corps de ce vieil homme. Que votre âme soit bénie et purifiée par le Seigneur. Qu'il vous sauve et vous donne la rédemption éternelle.

Il scanda quelques paroles en latin ; le vieillard ne bougeait plus, les convulsions avaient disparu.

Le curé l'aida à se relever et lui dit :

- C'est incroyable, vos pouvoirs sont réels !

C'est alors qu'il se retourna et vit l'horreur en face : un squelette en argile avait remplacé la statue de bois.

- N'ai pas peur, je ne te veux que le bien. Tes paroles ont libéré mes esprits maléfiques et je suis enfin revenu dans mon corps initial.

Depuis ce jour de grâce, le curé n'eut plus à venir désenvoûter le manoir.

Le maître lui offrit la construction d'une abbaye, surmontée d'un pastiche du squelette d'argile.

A la mort du curé, son corps fut placé dans une crypte et repose à côté du vrai squelette.

On raconte que, chaque soir, les esprits maléfiques du squelette viennent envoûter les maisons et prennent la forme de statues de bois.

L.P.

De bois et d'os

bottom of page