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Je m'attendais à devoir renoncer à mon régime quand le docteur Heiplich annonça à la radio que le programme de santé nationale allait être maintenu jusqu'en août 1995.

Je sortis la boîte de céréales du placard que je pensais devoir jeter et en versai le restant du sachet jusqu'à la barre rouge du bol. Je sortis du frigo la bouteille de lait entamée au trois-quart. Les odeurs de fromages au lait pasteurisé et aromatisé aux herbes se mirent à embaumer la cuisine.

Je vidai le restant de lait et la mélangeai avec ses céréales.

Un des écrans de mon bureau s'alluma automatiquement et ouvrit la vidéo de réveil. Celle de l'émission de gymnastique du programme de santé nationale s'enclencha et je dus poser ma cuillère sur la table de cuisine.

Je n'avais pas eu le temps d'enfiler ma tenue de sport mais il fallait reprendre les échauffements réglementaires.

- On lève le bras droit vers le haut et on tend bien, la main bien droite. Et on tient dix secondes !

Les exercices s'enchaînaient pendant une demi-heure. Mes pensées prirent la direction du récepteur et s'engouffrèrent dans la fibre optique qui reliaient mon installation Internet à la boîte centrale d'aiguillage.  

Le second écran s'alluma et afficha mes données corporelles et l'état des pensées de mon cerveau.

Une série d'indicateurs et d'histogrammes s'affichaient à une vitesse phénoménale.

Un message pris alors lieu et place des graphiques :

Votre potentiel d'adhésion s'est effondré de 35 %. Une réhabilitation s'impose.

Je dus arrêter mon entraînement suite à un message électrique dans mon cerveau.

Je me dirigeais vers le placard et suivit les instructions sans rechigner.

A 9h20, j'avais enfilé un costume digne du fossoyeur du cimetière du parc Central.

Une nouvelle instruction me fut envoyée, et m'obligeait à prendre les clés de la voiture. Je fis cette fois un effort pour lui résister.

Soudain, une décharge électrique parcourut tout mon corps et me fit crisper la main, dans laquelle j'avais les clés. Je dus les serrer, au point de saigner.

On sonna à la porte. Je dus aller ouvrir. C'était deux agents de la Surveillance Nationale.

- Nous avons pour ordre de vous emmener chez le Directeur. Veuillez nous suivre sans résistance.

Je n'avais pas le choix, dans la mesure où si je n'obtempérais pas, je recevais une décharge mortelle d'adrénaline.

Je les suivis donc et nous arrivâmes à leur véhicule. 

A peine entré côté passager à l'arrière que le décor changea en un éclair. Nous étions à présent dans une immense salle où d'innombrables agents en tenue militaire nazi allaient et venant. Certains travaillaient sur des ordinateurs. Au fond de la salle, une porte verte capitonnée.

Les agents m'emmenèrent en direction de la porte. Elle s'ouvrit. Je vis une femme en tailleur et veste, le chignon tiré vers le haut et des lunettes noires vissées sur le nez.

Elle tenait un dossier au-dessus d'une poubelle. Une odeur de brûlée me piquait au nez. En se tournant, je vis le contenu de la poubelle, pleine de cendres.

La porte se referma brusquement. Aucun geste ne vint parasiter son attitude sérieuse et froide.

- Monsieur Heiplich étant en déplacement, c'est moi qui suis chargé de vous recevoir et de réaliser votre analyse psychologique. Vous savez pourquoi, j'espère.

- Oui, tout à fait, dis-je avec une assurance de façade.

- Bien. Allongez-vous sur le fauteuil, s'il vous plaît.

Il s'agissait d'un fauteuil qui, une fois allongé, vous enfonce et prend la forme du corps. Ce fauteuil me faisait l'effet d'un sépulcre.

- Votre taux d'obéissance a considérablement chuté ces dernières 24 heures. Nous allons vous reprogrammer et analyser la journée de la veille pour savoir ce qui a pu causer cette chute.

- Bien, mais je ne pense pas que vous allez trouver quoique ce soit.

- C'est ce que nous allons voir, Monsieur Gilbert.

Un capteur cérébral se posa sur mon crâne. Un transfert de mes souvenirs depuis 24 heures parcourait les câbles jusqu'à une unité centrale.

Les premières analyses allaient dévoiler une aberration dans mes souvenirs. 

Un message s'afficha sur l'écran : Disparition de 67% des souvenirs en cours.

Un claquement de talons se fit entendre à travers mon capteur, trahissant le stress de la jeune militaire.

- Cela n'est pas possible, le programme ne peut pas effacer de souvenirs.

Elle composa une série de chiffres sur un écran, faisant ouvrir la porte capitonnée. Elle hurla quelques mots en allemand ; un informaticien arriva et entra dans la pièce.

Son intervention dura dix minutes mais en vain. La barre de progression continuait à égrener les pourcentages.

Un écran s'alluma. Le visage du docteur Heiplich prit place.

- Il y a un problème, chère Frida ?

- Tout va bien, docteur. Vous tombez à point nommé pour l'analyse de notre patient.

- Très bien. Les résultats sont encourageants, j'espère finir d'ici 5 minutes.

- Bien. Je vous laisse, je dois continuer ma vérification. Bon courage, Frida.

- Merci, dit-elle la voix tremblante.

Entre temps, la barre de progression avait atteint les 100 %. Plus aucun souvenir n'était accessible. 

- Il semblerait qu'un virus ait infecté votre système de contrôle social. Nous allons devoir vous faire passer une analyse sanguine.

Je quittais le fauteuil et enlevais mon capteur ; j'avais hâte qu'ils isolent ce virus.

L.P.

La disparition

Ancre 01112016
Ancre 17112016

Lunettes noires pour robe rouge 

La jeune caissière venait de fermer le magasin. Elle remis les clés dans sa poche droite de pantalon moulant. 

Une berline noire flambant neuve s'approcha d'elle. La vitre avant côté passager s'abaissa lentement. Elle se retourna et vit les lunettes de soleil qu'elle avait vendue hier soir.

L'homme pointa un arme et tira sur la jeune femme qui s'effondra sur le sol, laissant tomber ses clés de voiture.

Le lendemain matin, la police ordonna la fermeture du centre commercial le temps de l'enquête.

Fraîchement paru, le journal de Boston publiait dans sa une la photo de la victime.

Depuis la mare au-dessus de laquelle je me penchais tous les matins, je constatais à quel point la nature humaine avait changé en 3500 ans de temps.

- Maître, il est temps pour vous d'y aller. 

- Tu as raison, cher Blaise, le temps m'est compté. 

Je prononçais la formule habituelle pour rendre à la mare son aspect translucide.

Je me dirigeais vers l'entrée de la demeure du regretté Siji, qui aurait fêté son 500ème anniversaire s'il n'avait pas reçu la visite l'année dernière d'un des 5 esprits de la forêt de Pangée.

Un seul de ses esprits pouvait détruire l'équivalent d'un fragment de Pangée. La paix sur le territoire ne tenait qu'à cette mare, qui nous prédisait les malheurs et bonheurs de l'humanité.

- O Maître, dis-je à la statue de maître Siji, qui trônait au centre de la pièce centrale de la maison. Une forte émanation des esprits s'est incarnée sous forme humaine et devrait arriver d'ici plusieurs milliers d'années. Il s'attaque sans distinction de race ou de sexe et tue sans scrupule. 

L'esprit de Siji était toujours là, aux quatre coins du monde mais, quand je m'adressais à lui, il se retrouvait dans la statue et me parlais comme s'il était toujours vivant.

- Oko, ne perds pas de temps et va dans l'écurie de Blaise te chercher la meilleure monture.

- Bien Maître.

Blaise m'accompagna dans l'écurie, sur un immense talus où les chevaux broutaient l'herbe paisiblement. Ils entendirent le bruit de nos pas et levèrent la tête dans notre direction.

- Celui-ce est sans nul doute le plus apte pour la course. Et il est encore jeune.

- Parfait Blaise, dis-je en caressant la crinière du cheval. Nous allons lui atteler le cabriolet rouge de maître Siji.

Blaise et moi sortîmes le vieux chariot qui avait fait la renommée de Siji, au temps où sa colossale force pouvait imposer le respect aux peuples frères qui se querellaient à tort et à travers.

Une fois attaché, le cheval grandit jusqu'à atteindre une taille de 5 mètres au garrot.

- Mon cher Blaise, je vais devoir réaliser ce que notre maître Siji aurait pu faire s'il était encore en vie. Donne-moi mon bouclier et invoque le Portail.

Blaise lança une poudre à base de fines herbes et d'épices tout en s'exprimant dans le dialecte ampi.

Un gaz plasmatique apparu à quelques mètres devant moi. 

Une fois prêt, je fis une tape ferme de la main droite sur la croupe du cheval qui se cabra sur ses pattes arrière puis s'élança en direction du gaz.

En trois secondes, je tirais sur les rênes et il sauta dedans.

Nous nous retrouvâmes instantanément à Boston, quelques heures avant le premier crime de l'esprit maléfique.

Le parking était couvert de ses chariots remplis de victuailles païennes et s'y frayer un chemin n'était pas chose aisée.

Il le repéra au bout de quelques secondes. Il attendait sagement dans sa voiture noire. Côté conducteur, un homme habillé en joliveur. Deux jeunes femmes, tout de rose vêtues, dormaient profondément au point de ronfler.

Le cabriolet avait à présent une forme plus petite, je me sentais si proche du sol que j'avais l'impression de le toucher. Du cheval, il avait pris une taille bien plus réduite. Il ne bougeait plus mais avait gardé son air menaçant et fier.

Fort de mes connaissances en pilotage, j'allais pouvoir les mettre à profit pour nous débarrasser de cet esprit.

J'enclenchais la première et, une fois la pédale d'embrayage relevée, j'appuyais violemment sur celle de l'accélérateur. 

Je pris la direction du parking et, tirant brusquement sur le volant, fit un violent dérapage, laissant des traces de gomme épaisse sur l'asphalte.

Je vis le passager se retourner ; son visage n'eut pas le temps de prendre le rictus de la peur qu'il n'était plus de ce monde. 

Je fus dès lors aspiré, tout comme le centre commercial, les humains, les animaux et les innombrables chariots.

Le gaz plasmatique s'ouvrit en un éclair de lumière sur l'herbe impeccablement verte du talus, au même endroit qu'à mon départ.

Mon cheval avait retrouvé sa taille d'origine et je sentis dans les vibrations de l'air un apaisement qui n'existait pas quelques secondes auparavant.

- Alors , Maître ? dit Blaise en m'aidant à descendre du cheval.

- Oko, le temps est venu d'aller voir la mare.

Nous redescendîmes vers la maison de maître Siji et nous lui apportâmes le costume de l'esprit que je venais de terrasser.

- Ce costume doit prendre place au salon des esprits pour y être purifié, dit Siji.

- Bien Maître. Oko, occupe-toi s'en.

Je me dirigeais vers le jardin, en direction de la mare.

Je me penchais et revis la même scène que celle de ce matin. Je n'arrivais pas à comprendre comment.

Je rebroussa chemin en direction de la bibliothèque pour aller consulter les livres spéciaux. C'est là qu'il m'attendait, l'arme à la main, les lunettes noires qu'il avait acheté à la jeune femme, victime de sa cruauté.

L.P.

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