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Les abeilles tournaient autour de la branche. Le soleil était à son zénith. Le vent ne soufflait plus depuis quelques minutes. Je fixais le ballet des insectes, allongé sur le lit de la chambre 230 quand on frappa à la porte.

- Qui est-ce ? dis-je en sursautant.

- C'est le plombier.

- Quel imbécile ! Entre !

La porte s'ouvrit et laissa pénétrer un grand gaillard aux épaules larges, la chemise blanche tirant sur le gris portée de façon décontractée.

- Comment tu vas, Baptiste ? me dit-il, le sourire honteusement brillant.

- Ca va, du moment que je tiens sur mes deux jambes.

Cette blague semblait drôle mais cette fois-ci, nous ne rigolâmes pas. Il déposa une boîte et m'alluma le téléviseur.

- "... je ne te le pardonnerais jamais, ton comportement envers moi n'est pas acceptable ! Et voilà que tu m'annonces que Steve a signé ce contrat avec ma signature ?"

- On peut parler maintenant, Baptiste. J'ai une information qui pourrait nous aider à coincer ceux qui ont voulu te faire la peau. Dans la chambre d'à côté, il y a un type qui a travaillé pour l' A.V.I.S. 

Il est chargé de t'éliminer ...

Je coupais le téléviseur. Cet épisode dans la chambre d'hôpital, c'était du réchauffé. La série commençait vraiment à s'essouffler et la société de production allait rompre le contrat si rien n'était fait pour la redynamiser.

On frappa à la porte.

- Qui est là ?

- C'est le plombier.

- Quel idiot ! Entre !

La porte laissa entrer Marc, un DVD à la main. 

- Arnaud, laisse-moi te montrer une nouvelle version de l'épisode. Je sais qu'il n'y a rien d'original dans celui-ci mais , là-dedans, l'intrigue prend un virage complètement inattendu. Je suis sûr que çà va te ...

Je fis une pause sur la vidéo. Mes milliers d'heures à regarder des vidéos m'ont montré tout ce qu'il ne fallait pas faire. Je rajoutai une ligne dans ma liste. J'avais hâte d'avoir de quoi dénoncer ce système, qui devenait de plus en plus orienté vers la production de richesses sans le moindre effort. Attirer l'internaute devenait une source de revenus astronomiques, quitte à rabacher les mêmes scénarios. 

Mon livre devait s'appeler : "Cinquante ans d'une arnaque cybernétique" mais j'ai dû négocier avec l'éditeur pour un titre plus consensuel ....

Je refermais le livre. Je regardais les abeilles tournoyer sur le saladier à fruits, posé sur la table d'extérieure. Je me levais et m'approchai de l'essaim quand l'un des insectes se posa sur la table. Son départ du groupe signait son arrêt de mort. Je rapprochais de plus en plus le livre de la pauvre petite. Sentant un destin funeste se profiler, cette dernière pris son envol vers le groupe des dévoreuses. Elle se mit à dialoguer avec trois de ses congénères pendant quelques secondes. Pendant ce temps, une autre abeille avait elle aussi quitté le groupe...

Je refermais la copie double. Le style d'écriture d'Annie devenait trop prévisible, entraînant un relâchement grave au niveau du vocabulaire. Elle devra, cette fois-ci, se contenter d'un 12 sur 20.

Le téléphone sonna.

- Allô ?

- C'est le plombier !

- Mais que tu es bête ! Tu es devant la porte ? J'arrive.

Je tournais la clé dans la serrure et baissa doucement la clinche. A peine avais-je ouvert la porte qu'un chat blanc rentra dans la couloir, suivit d'une paire de jambes. 

Je relevais la tête et vit celle de mon frère.

- Comment vas-tu ?

- Ca va, du moment que je tiens sur mes deux jambes.

Marc se dirigea vers la chaîne hifi et monta le volume.

" ... on ne vous pardonnera pas d'avoir signé cet accord avec le Quatar. Si vous voulez que nos compatriotes continuent à supporter l'équipe de France ..."

- On peut communiquer sans risque maintenant. J'ai les renseignements sur les personnes qui t'ont mis dans ce fauteuil roulant...

 

Je fermais la bande dessinée. Je tirais la chasse d'eau. Ce petit séjour dans ce lieu sacré de la catharsis anale m'avais fait réfléchir. Je retournais dans le salon où ma femme et ma fille regardait la télévision. Je m'installai à côté de ma fille, la pris sur mes genoux et regardai la fin de cette série.

L.P.

Comme une odeur d'inachevé 

Ancre 26052016

Le réveil fut dans la lignée des 5 jours précédents : lever avec la douleur à la tête, douche qui met deux minutes à devenir chaude et un café sans lait.

J'ouvris la porte qui donnait à présent sur un parterre de fleurs de la taille d'un terrain de football.

- Votre travail est arrivé, monsieur, me chuchota ma femme de compagnie.

- Bien, dites-lui qu'il se rende dans la pièce 67.

- Comme il conviendra à Monsieur.

Elle quitta l'entrée, vers la destination que je venais de lui indiquer.

Les restes de la veille et des 4 derniers jours s'étalaient sur l'évier. J'avais beau me dire que mes amis devraient se retenir de leurs frasques d'adolescents attardés, je ne pouvais m'empêcher de les admirer pour les efforts qu'ils avaient fournis pour me distraire.

Le travail m'appelait. Elle était assise sur la "chaise de dentiste", comme elle l'appelait. Sa réparation, qui s'étalait sur deux mois, arrivait à son terme et la phase de consolidation commençait aujourd'hui.

- Maître, mes sphères oculaires réagissent difficilement.

- Bien, enregistre tes remarques sur ta mémoire.

Pendant deux heures, elle accumulait les données. Un fichier final s'afficha sur son écran thoracique. 

- Es-tu sûr de ne pas t'être trompé dans la façon de tester tes fonctionnalités ? 

- Non, maître, toutes les améliorations à apporter sont dans cette liste.

- Pourtant, tu fonctionnes relativement bien.

- Non, maître, je ne suis pas optimisée. Faites en sorte que je sois parfaite.

- Mais que veux-tu que je t'apporte de plus ? Tu es la perfection !

- Hélas, non, maître. 

Je pensais qu'elle n'avait plus besoin d'autre chose. Je fis le nécessaire pour les défauts purement techniques mais la majorité des points de défectuosité qu'elle avait relevés étaient incompatibles avec mes connaissances. 

Toute la journée, je consultais les médias les plus pointus en matière de robotique humaine. Rien ne me permettait de lui adjoindre des capacités supplémentaires. Les sentiments, le physique, la complexité des gestes et des approches, elle les avaient. 

Le lendemain matin, après une énième observation de ma créature, je dus me résoudre à la laisser dans la pièce.

Dans la cuisine, la vaisselle s'accumulait et rien n'avait été fait. Je m'étonnais qu'elle n'ait rien fait pour tout nettoyer.

Je pris quelques cartons contenant quelques restes du repas, ainsi que les verres qui traînaient dans la table de salon.

Je levais le tête et je la vis, me regardant comme une mère regarde son bébé pour la première fois.

Je ne compris pas sur le moment cette réaction. Mais c'est en me dirigeant vers la cuisine et en y jetant les restes d'un dernier gâteau à la poubelle que je vis toute l'ampleur de l'émotion qui la submergeait. 

-Serre-moi fort contre toi, s'il te plaît, me dit-elle avec la voix numéro douze.

- Eh bien ... si tu veux.

Je la pris dans mes bras, du mieux que je pouvais.

- Tu viens de faire de moi la femme parfaite, me chuchota-t-elle avec,cette fois-ci, la voix numéro quinze.

- Mais, ma parole, qu'ai-je donc fait qui aurait répondu à toutes tes demandes ? 

Je ne la reconnaissais plus. Son métal devient froid puis chaud, alors qu'aucune fonctionnalité ne lui permettait, jusqu'à maintenant, de contrôler avec finesse sa chaleur corporelle.

Je l'emmenai dans la pièce 67 et branchai les serpentins sur ces prises dorsales. J'effectuai alors une succession de contrôles sur sa colonne cérébrale. 

De nouvelles ramifications électriques apparaissaient sur l'écran et se dirigeaient sur ses attributs féminins. 

- Comment est-ce possible ? Je l'ai quitté il y a trente minutes à peine et ces structures n'étaient pas dans son organisme ?

Je sentis ses doigts me froller la peau, puis parcourir mon torse.

- Touche-moi mes petits ballons ! insista-t-elle

- Mais tu es folle !!

- Oui, de toi, mon chéri.

Je la repoussai. Je venais de créer un monstre ; elle étaient devenu incontrôlable. L'animalité qui l'habitait à présent ne pouvait venir que d'un évènement ou d'une expérience qui aurait généré un surplus de molécules favorisant la prolifération cellulaire, créant une nouvelle fonctionnalité.

Mes bras articulés la prirent par la taille et la projeta sur le lit. Une fois libéré, elle hurla de plus belle.

- J'aime quand tu fais ton homme fort, il est temps de passer aux choses "sérieuses", dit-elle avec une voix encore inconnue.

J'étais désarmé. Mes roues se mirent à reculer toutes seules. Je retournais dans la cuisine pour aller finir de ranger la pagaille.

L.P.

Désordre intérieur

Ancre 06062016
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