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L'enquête m'occupait maintenant tout mon temps. Les indices, bien que nombreux, ne semblaient pas concorder.

- Louis, vous feriez mieux de rentrer chez vous.

- Je sais bien, chef. Mais là, vous serez d'accord avec moi : cette affaire, vous me l'avez confié car j'étais le seul disponible. Cela fait deux mois que les corps s'accumulent autant que les indices mais aucune piste ne s'en dégage, pas de témoins. N'oubliez pas que les victimes font partie du conseil municipal et de l'entourage du maire. Alençon vit dans la panique depuis tout ce temps et tout ce que vous me demandez, c'est de rentrer chez moi, comme si de rien n'était ?

- Vous avez raison, Louis. Je n'ai pas été très présent pour vous épauler dans cette enquête. Montrez-moi ces indices.

Je lui sortis du tiroir les vingts-deux photos prises par Stéphane, notre photographe. Chacune d'entre elle représentait, sous la forme d'un tatouage, un objet.

- Le meurtrier est très doué. Un as du pistolet dermographe.

- Vous vous y connaissez en tatouages ?

- J'ai un ami tatoueur. Quand je finis ma séance dominicale de squash, je le rejoins à son atelier pendant qu'il travaille. 

Il observa les objets les uns après les autres, prenant le temps pour chaque photo.

Je lui récapitulais les pièces du dossier.

- Nous avons donc : un boomerang, une sorte de long tube, un extrait d'une carte routière, un pistolet doré, un tank, une femme en bikini, ...

- Attendez une minute. Ce tube, c'est un didgeridoo.

- Vous êtes sûr ?

- Absolument sûr. La suite ?

- Nous avons ensuite une couronne, un ballon de rugby, un portrait de Wolverine, un blason portant une bande noire avec trois points jaunes, un jeton de casino ...

C'est alors qu'il frappa du poing avec une telle force que du sang coula sur le bureau en vieux bois.

- Arrêtez tout, je crois que nous tenons notre coupable. Je suis vraiment désolé de ne pas vousavoir aidé plus tôt.

- Vous pensez qu'il s'agit de qui ?

Il reprit tous les objets que j'avais énumérés et écrivit le nom de chaque objet sur une feuille de papier.

- Laissez vérifier une dernière chose. La carte, vous pouvez la numériser ?

- Bien sûr.

Je pris la photo et appela Stéphane.

- Stéphane, tu peux nous numériser une photo ?

- Pas de souci, tu as de la chance que je n'ai pas éteint mon ordinateur. C'est pour ton enquête ?

- Oui, il faudrait numériser la carte.

- Amène-la moi.

Nous nous dirigeâmes vers son bureau. Il faisait une chaleur étouffante.

- Nous voulons savoir ce qu'elle représente.

- Ok.

Il posa la photo sur son scanner et appuya sur un bouton vert. Un bruit de moteur se fit retentir. Une image apparut une seconde plus tard ; la carte était à présent sur l'écran.

- Je vais comparer l'image avec la banque de données de Google Maps. J'aurais une liste de quartiers ou de villes potentielles.

Après quelques secondes d'attente, quinze résultats s'affichèrent. 

- Bingo ! hurla le chef.

Il montra du doigt la première ligne : quartier portuaire de Woolloomooloo.

- Vous en déduisez quoi, chef ?

- D'abord, je vais vous montrer les points communs. 

Il ressortit les mots déjà écrits et rajouta la dernière découverte.

- Vous voyez, tous ces mots contiennent au moins deux o collés. Les autres indices sont volontairement là pour nous tromper, nous embrouiller. Le seul individu qui sort des ces indices et, pour moi, l'agent 007.

Pendant quelques instants, j'eus du mal à croire que l'homme qui venait de parler de 007, un personnage de fiction, était le chef de la police.

- Je suis conscient de l'immensité de la révélation, mais je ne vois pas d'autre explication. Tout concorde, d'ailleurs : le tank que conduit James Bond dans "Le Monde ne suffit pas", le bikini porté par Ursula Andress dans "James Bond contre Docteur No", le blason à points jaune de la famille Bond, le jeton dans "Casino Royal".

- Mais les griffes ? Le ballon de rugby ?

- Rien à voir, c'est juste pour nous embrouiller et éviter de laisser une succession trop flagrante d'indices.

Nous retournâmes dans mon bureau ; avec cette piste, dix-huit indices pouvaient être identifiés comme propre à l'agent secret.

- Il faut nous reposer maintenant. Je vous propose de venir chez moi.

- Je vous remercie de votre hospitalité mais je préfère finir le dossier...

- Vous allez me suivre, maintenant, mon cher ! vociféra le chef. Il pointa son arme de service sur moi.

- Mais qu'est-ce qui vous prend , chef ? Si c'est une blague, elle n'est pas très drôle. Vous êtes fatigué.

- Il n'est pas fatigué, Louis, s'exclama une voix féminine. C'était Marion, la légiste, qui n'était pas rentrée chez elle. Trois agents spéciaux se ruèrent sur le chef , le désarmèrent et lui passèrent les menottes.

- Notre chef souffre de la maladie d'Abori. Il s'agit d'un dysfonctionnement d'une protéine, synthétisée par un gène homéotique, l'Abori-gène, du nom de James Abori, endocrinologue américain du 23ème siècle. Cette protéine fait migrer des cellules nerveuses, habituellement présentes dans le cortex, dans la zone limbique. Elle génère des comportements différents de ceux de la personnalité principale de l'individu, donnant naissance à une seconde personnalité. La personnalité est à l'état embryonnaire à la naissance mais prend de l'ampleur avec l'âge, sans altérer la personnalité principale qui, elle, continue à se développer.

- Attends, tu veux dire que c'est lui qui a commis tous ses crimes ? Mais pourquoi nous n'avons rien vu ?

- Les deux personnalités se fabriquent en même temps mais de manière totalement indépendante. Il est donc fort probable que sa seconde personnalité ne se manifeste qu'en dehors des heures de travail.

- Et pourquoi James Bond ?

- Sa seconde personnalité semble se nourrir des connaissances ou des contacts sociaux que la première personnalité apprend tout au long de sa vie, comme un parasite vit au dépend de son hôte.

- Ou une sorte de cancer naturel ?

- On peut dire ça, effectivement. Et qu'est-ce que tu vas faire de lui ?

- Je ne peux rien te dire.

Cette dernière phrase était paradoxalement très explicite sur les intentions de Marion. 

Le chef, ou plutôt son double , cherchait à se débattre. Elle lui injecta alors une dose de morphine et ordonna qu'on l'emmène dans la morgue.

L'affaire venait finalement d'être résolue mais personne ne devait être au courant que le chef de la police était responsable des meurtres d'Alençon. 

 

 

L.P.

La vengeance de l'agent double

Ancre 16022015

- La main moins haute, Rodolphe, c'est la quatrième fois que je vous le dis. Allez, faisons une pause de 10 minutes.

Ce répit allait me faire le plus grand bien : au sacrifice, nul n'est tenu. J'enlevais mes chaussures de danse : mes pieds étaient devenus rouge vif et les ampoules prenaient l'allure de cratères lunaires.

Sophie s'asseya à côté de moi sur le banc qui se tenait juste derrière la bordure de la piste d'entraînement.

Elle se colla à moi, sans dire un mot. 

- Ecoute, si tu veux, on peut aller lui dire ensemble ...

- Je ne crois pas, non. Elle va se douter de notre relation et ne voudra plus jamais nous entraîner.

- Elle est trop occupée à nous préparer pour les championnats d'Europe pour imaginer un instant qu'on est ensemble.

- Détrompe-toi. Au contraire, 10 ans à nos côtés 12 heures par jour, elle a du voir nos rapprochements. Tu te rends quand même compte qu'on ne danse plus comme avant, non ?

 

 

- Le canon plus bas, monsieur Rodolphe, c'est la troisième que je vous le dis. Allez, faisons une pause de 5 minutes.

Ce répit allait me faire le plus grand bien : au sacrifice, certes je devais m'y préparer, mais les tirs couchés, à moins 20 degrés, fallait pas exagérer.

Je sortis mon carnet pour noter mes scores d'aujourd'hui quand une photo tomba de ma poche. En la ramassant, je la retournais et vis ma grand-mère avec un jeune homme, mais qui ne ressemblait pas à Papy. Sans doute n'avais-je pas complètement fait le nécessaire pour nettoyer sa veste. Le seul bien qu'il a voulu me léguer. 

- Ecoutez, si vous voulez, on peut aller le lui dire ensemble...

- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Il va se douter de quelque chose et refusera de coopérer. Il est doué au tir et s'entraîne dur. Il ne mérite pas ça...

- Pourtant, il va bien falloir. Si nous ne faisons rien, le sergent Rodolphe sera fait prisonnier par l'agence de Surveillance Nationale et Dieu sait le sort que ces agents pourraient lui réserver.

 

 

- Alors comme ça, tu as connu Papa au Moulin-Rouge ?

- Oui, ma chérie, et il était aussi beau que ton amoureux !

- Comment tu sais que j'ai un amoureux ?

Ma mère se mit à rire. Puis la pellicule s'arrêta net. Je stoppais la caméra de projection.  Il en restait deux à faire défiler.

- Ca fait deux heures que tu regardes ces pellicules.  Tu ne veux pas prendre l'air un peu ?

- Je dois toutes les visionner, si je veux connaître la vérité. Cet homme, c'est la clé de toute mon histoire.

- Oui, je comprends, mais est-ce que ça en vaut encore la peine ? Les enfants sont grands, ils sont heureux, et tu veux revenir sur ton passé alors que c'est notre avenir qui doit être la priorité ?

- Tout le temps que j'ai passé à sauter depuis ce zinc, j'aurais sans doute pu le passer derrière des barbelés et ne pas connaître le bonheur si mon instructeur avait fermé sa gueule, dis-je en pointant du doigt une maquette taille réduite du Curtiss C46. Mais il ne m'a pas tout dit, et je pense qu'il en savait plus que ce qu'il voulait me faire croire. Sans doute a-t-il voulu me protéger. 

 

 

- Tu t'appelles comment ?

- Rodolphe. Et toi ?

- Sophie. Tu viens pour le casting ?

- Oui, j'ai vu que ça payait bien. On a besoin d'argent chez moi.

- Tes parents n'ont pas les moyens ?

- Et bien, avec les restrictions sur les emplois de bureau et sur la manufacture, nous ne pouvons pas faire grand'chose, à part jouer aux saltimbanques. Et ma mère dit que je suis doué pour la danse, alors elle veut que je gagne de l'argent en dansant.

- Alors, bienvenue au club ! 

Elle me fit une bise sur la joue. Je sentis ses arômes de vanille pénétrer mes narines.

- Attention, elle va arriver, dépêche-toi de te préparer.

Une grande dame élancée, le chignon serré et les mains le long du corps, donnant l'impression qu'elle allait à tout moment quitter le sol, s'avança sans jamais faire grincer la sol.

- Monsieur ... 

- Rodolphe Poder, madame.

- Monsieur Rodolphe Poder, veuillez me montrer la combinaison d'aujourd'hui.

- Celle avec le porté ?

- C'est bien cela, monsieur.

 

 

- Vous vous appelez comment ?

- Rodolphe Potter, ancien parachutiste du 18ème corps aéroporté des Etats-Unis d'Amérique.

- Bien, je vais voir si je trouve votre nom dans les registres. 

- Je penses plutôt que vous trouverez Poder. Ma grand-mère a changé son nom de jeune fille et a toujours appelé ses enfants avec le nom que je porte depuis ma naissance, Potter.

- Alors, voyons voir. 

Elle saisissa mon nom dans l'ordinateur. Un vacarme s'en suivit, indiquant visiblement que la machine effectuait une recherche dans la base de données.

- Je ne trouve rien au nom de Poder, désolé.

- Vous êtes sûre ? Il a pourtant vécu à Paris. Je n'ai pas fait tout ce trajet depuis Houston pour rien !

Je ne pouvais me résoudre à quitter son comptoir sans l'information qui allait mettre un point final à ma quête d'identité.

- Je peux peut-être approfondir les recherches. 

La secrétaire se mit à taper à plusieurs reprises sur son clavier. Je pris cela pour une marque d'attention à mon égard.

- Voilà, le 12 avril 1889,  un homme, au nom de Bartholomé Poderman a effectué un changement de nom. Il a souhaité s'appeler Bartholomé Poder.

Tout était clair maintenant. J'eus un coup de fil de ma fille, Lara, qui m'annonca son mariage avec son portugais. Elle allait s'appeler Mme Lara Bica et la seconde de mes des filles à ne plus porter le poids de l'héritage familial.

Ne restait que mon seul fils et j'avais secrètement espoir qu'il décide de prendre le nom de sa future femme. Mais quelque chose me dit que lui aussi nous cache une part de sa vie.

 

L.P.

Le soldat sang-mêlé

Ancre 24022016
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