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Magdalena's Blues
Evolution parallèle

J'allumais mon ordinateur portable pour la première fois. L'Inspiration était à mes côtés depuis 5 minutes que déjà, elle m'ennuyait. Toujours les mêmes conversations, les mêmes questions sur la vie, la volonté de se dépasser, les compétences. Pourquoi me voulait-elle tant de mal ? Ne peut-elle l'espace d'une minute se taire, s'affranchir de ce désir de combler des espaces vides par des conversations soporifiques qui m'inspiraient de la frayeur, tant elles touchaient à des concepts froids et intemporels. 
Ces mots, écrits sur un bout de papier, devaient m'aider à me soulager de ce fardeau, soi-disant car ils enfermaient des pouvoirs psychiques capables d'aller jusqu'à faire naître des émotions qu'aucun humain n'avait expérimenté jusqu'alors.
J'avais bien besoin de ce lavement. Mes écrits avaient perdu de leur éclat et de leur incisivité depuis qu'elle avait pris place sur le canapé l'an dernier, juste après avoir vu cette émission sur le travail à travers le 2ème millénaire. 
Universalité, labeur, contrôle, stress, entreprise, ces mots m'avaient dépossédés de tout ce qui faisait ma force vitale. Je ne sais d'ailleurs plus qualifier quoique que ce soit qui se rattache à ma vie passée. Tous les soirs, mon cerveau se déprogramme un peu plus, comme un homme se transformant en loup-garou sous la lueur de chaque pleine lune. Seuls mes écrits témoignent de mes démons intérieurs. Je me mis à lire le premier comprimé littéraire : innocence.
Une naïveté se dégage de çà. J'en ris.Un vide s'installe, quelque part près de l'oreille droite, comme une part de moi qui est aspirée vers l'extérieur. De ce vide, une sensation de chaleur incroyablement intense me submerge puis disparaît. "Répétez 4 fois la prise du comprimé pour une efficacité accrue", était-il indiqué sur la notice. Ca semble peu, tant mon esprit est sombre, gluant, et comme si chaque neurone était comme un fantôme emprisonné, une chaîne et un boulet sur chaque dendrites, dans une cage faite de conventions, de directives, de lois et de règles. Mais je n'ai rien à perdre, alors je me lance. Chaque prise aspire un peu davantage de ces ectoplasmes. Je sens des points de chaleurs un peu partout dans le crâne, tels des feu-follets mais bienveillants. Ah tiens, "Bienveillant", je l'avais oublié. Il fait vraiment plaisir à entendre. "Plaisir", je ne m'en lasse pas, je le trouve trop court d'ailleurs, comme le bonheur. "Bonheur", j'aime moins, c'est un peu surfait. J'avoue avoir eu un instant d'hésitation avant d'avaler "Belle-maman" mais une fois ingérée, une vague déferla à l'intérieur et tous ces instants passés se révélèrent : mariage, amour, haine, dispute, réconciliation, passion, dégoût, compréhension, ces mots explosèrent comme des bulles de champagnes à la surface. J'en étais ivre. "Ivresse" , c'était çà que je ressentais au final. J'avalai le dernier mot-cachet. Je me retournai vers le canapé et vit mon Inspiration dans les flammes, en train de fondre sur la plancher. Elle n'était plus. J'allais enfin me remettre à vivre, ressentir et écrire ce qui me passait de positif par la tête. Le mot "travail" fut le dernier mot, le plus dur et le plus libérateur, à disparaître. J'étais de retour.

 

L. P.

Posé sur mon lit, fraîchement acheté, je me dirigeais vers lui. Noir, les petites ouvertures clinquantes, l'odeur du neuf. Je touchai l'étui que j'avais mis 10 ans à acquérir, usant mes sabots blancs dans des chambres froides à entreposer des tonnes de viande pour fondues savoyardes
Une fois ouvert, sa couleur dorée emplit la chambre. Un léger frisson me parcourut le corps de la tête au pieds. Je pris mon anche fétiche, bien chauffée et humide, l'enserrai sur le bec rutilent. J'enclipsai ce dernier sur l'instrument, ou plutôt mon instrument. Mes yeux brûlaient d'impatience, comme quand on attend pour déguster en famille la raclette que l'on n'a pas mangé depuis l'hiver dernier.
Je sortis la partition de "Now's the Time", mon morceau de jazz be-bop préféré.
Lui qui m'a accompagné dans tous les défilés, les boeufs qu'on faisait avec Sam, Miles, Kenny, Wes et Bud, il avait un peu jauni mais les notes étaient toujours impeccablement dessinées.
Je me remémorai les premières leçons, quand je tentais de sortir mes premières grappes de notes, la bouche aussi grimaçante que quand ma mère me donnait à manger des marrons tout juste sortis des braises, de chez le marchand sur la 52ème rue.
Au bout de 5 minutes, une fois les derniers couinements passés, le son commençait à prendre de l'ampleur : je distillai mes arpèges avec aisance, je pouvais accélérer le tempo. C'est comme si le piment doux ne me faisait plus d'effet, j'avais besoin de passer aux piments plus forts. 
Plus les minutes s'écoulaient et plus les notes courraient, jusqu'à perdre haleine. Mon gosier devenait brûlant de plaisir, l'air chaud fusait dans tout mon être. Je ne faisais plus qu'un avec lui.
J'en redemandai, tout autant que le potage du dimanche que ma mère nous préparait, mon frère et moi, avec les légumes que notre voisin nous donnait, en échange d'une journée de l'entretien de son jardin. Et comme si je n'en avais pas eu assez, je pris "Giant Steps" , assuré comme jamais : j'atteignis le nirvana, poussant des couinements de plaisir avant chaque aspiration d'air. Les clés étaient tellement sollicitées que j'en oubliais leur existence même. Je n'entendais plus que les battements de mon coeur, qui marquait la rythmique, telle une batterie vivante. 
Même les appels de ma femme pour venir manger la traditionnelle choucroute de Noël me paraissaient de plus en plus lointains et dissonants.

 

 

L. P.

Coincé depuis 4 mois dans cette grotte quelque part dans les chaînes montagneuses de l'Himalaya, tout ce qui aurait pu m'aider à rentrer chez moi, à Berlin, était devenu inutilisable : le talkie-walkie , ma lampe-torche. Il n'y avait que mon briquet, fidèle compagnon de fin de soirée, sur qui je pouvais compter.
Il ne s'était rien passé de particulier quand un effondrement sourd se fit entendre près de l'entrée de mon "domicile". Je cherchai à sortir de la grotte pour voir d'où pouvait provenir ce bruit. 
Alors que je me tenais aux parois neigeuses pour ne pas glisser, c'est le contraire qui se produisit et je basculai à travers le mur de neige qui avait visiblement fondu. Me retrouvant à terre dans quelques centimètres d'eau, j'était trempé jusqu'aux os.

Dans le couloir où j'avais atterri, je trouvai une torche que j'allumai avec mon briquet. C'est à ce moment-là que, en m'approchant de l'autre paroi du couloir que je vis des gravures aux formes tantôt familières - un cheval poursuivit par des hommes armés de lances -  , tantôt insolites - un phacochère et un suricate patte dessus , patte dessous.

   

 - Attendrissant, n'est-ce pas ? Cette voix soudaine me fit sursauter , et je lâchai la torche qui s'éteignit aussitôt.
Une lumière éclairait une bouche, puis un nez, puis des yeux, et enfin le visage tout entier : celle d'un cochon d'Inde. Puis le corps tout entier, dont l'allure était plutôt celle d'un être humain. 
   - Si tu veux tout savoir, c'est l'histoire de mon peuple que tu vois là, sur cette paroi. Il y en a plein d'autres et je suis le gardien de ce trésor, dont l'origine remonte à l'arrivée de vous, l'Homme.
Il me raconta que son peuple, persécuté par les Hommes préhistoriques, avait un jour décidé de vivre à l'écart du monde dans une grotte ( celle où j'avais atterri en fait ) et avait créé un véritable empire souterrain, hors de portée des assaillants humains. L'évolution fit devenir certains groupes davantage humain qu'animal, ce qui les mena à s'entretuer. Ashakop - c'était son nom - était le dernier survivant de ce peuple et me fit jurer de ne jamais dévoiler ce secret si jamais je venais à rentrer chez moi.
Un mois plus tard, une patrouille des services secrets allemands me retrouva grâce un drap que m'avait donné Ashakop ( il m'avait servi de drapeau ), et je retrouvais ma femme et mes 2 enfants. Depuis, ce jour, la vue de la moindre côte de boeuf m'est insupportable.

 

L. P.

La tourista ne passera pas
L'alcool, ça tape
Commis 2.0

Mon costume était enfin prêt. Depuis le temps que j'attendais ce moment, ce métier dont j'avais tant dit du bien à mes parents puis à mes amis et à ma copine. Je savais qu'à partir de ce matin, 10h, une fois ces vêtements enfilés dans le vestiaire, j'aurais à répéter inlassablement les mêmes gestes, à me fabriquer des habitudes qui vont bouleverser ma vie et celle de mes proches. J'ai encore en tête les derniers mots de mon instructeur : "Chaque patate que tu éplucheras sera pour te rappeler que tu devras l'avoir chaque jour de ton existence". 
Etre commis dans le plus grand restaurant de Manhattan ( au sens propre comme au figuré ) , le "Money-Or-Nothing" , le rêve de tout jeune apprenti-cuisinier dans le monde ! S'y cotoyaient des chiliens, des japonais, et même des Inuits ! Arrivés devant le vestiaire, je sentis une fierté quand j'enfilai mon tablier blanc et pris mes ustentiles de cuisine. Quand je sortis du vestiaire, je rejoignis ma place à côté du 142ème et dernier commis de "la Ligne" ( c'est comme çà qu'ils appelaient leur groupe de travailleurs de l'ombre ). 
- " Ta première mission sera de préparer le civet de lapin "comme chez-soi" pour les 185 clients de la table 56", m'ordonna le robot-ordonnateur qui m'était attribué. J'avais signé, c'était pour en baver.

 

L. P.

De retour d'une soirée d'anniversaire, ma femme et moi avions difficilement réussi à ouvrir la porte de notre appartement ( alors que, rétrospectivement, il était évident qu'un enfant de 2 ans aurait pu réaliser en 3 secondes ce que nous fîmes en 5 minutes ) . J'alla ouvrir le fameux "bar à vin" pour clôturer nos péripéties mais la main ne récupéra que de l'air : quelqu'un s'était servi de LA bouteille, et c'était forcément le résultat d'un cambriolage mené à la perfection :
- L'orage de ce soir nous obligeâmes à faire un détour, contrairement à ce qu'indiquait le GPS ( temps perdu : 10 minutes )
- L'annonce faite par la police de la route qu'une épidémie de tourista s'abattait à l'instant sur notre route , nécessitant un contrôle sanitaire intensif ( temps perdu : 35 minutes )
Aucune trace d'effraction du bar, aucune empreinte digitale nulle part, nous n'avions pas affaire à un amateur de "Villageoise" , loin de là.
Je me tournais vers le téléphone pour appeler la police quand je vis un bouchon de liège relié au combiné par un fil de fer barbelé. Il était immaculé de vinasse, me mettant en état de nausée instantané. Une fois le malaise passé, je vis sur le bouchon les inscriptions suivantes : T.A.U.D.I.S , pour "Tortionnaires Alcooliques Unis pour Dominer l'Internationale de la Soif" Encore un groupuscule de pacotille, ils seront liquidé et baigneront dans leur propre vinasse d'hémoglobine.

 

L. P.

10 h du matin, sur un terrain vague près de Douala. Patrice et Samuel sortent du pickup de leur cousin. Les dernières traces de l'orage d'hier soir ont disparu et un franc soleil inonde les lieux. Patrice sort de sa poche droite de son jean délavé un bouchon sur lequel était fixé un appareillage semblable à un anémomètre de fortune.
- Le vent est favorable, mon frère, nous allons pouvoir partir. 
Dans l'avion qui se tenait derrière eux, un pilote thaïlandais , qui sortait à peine d'une nausée ( çà fait toujours çà , le whisky au matin ) sortit du cockpit et leur dit :
- Messieurs, nous avons beaucoup de route à faire et je dois revenir très vite pour un autre client.
Une fois dans l'avion, Samuel observa l'arrière, où se trouvait des dizaines de cartons et se mit à humer l'air ambiant. 
- On va se faire beaucoup d'argent avec notre tourista , elle sent vraiment bon, les Américains adorent quand la tourista a une bonne odeur.
- Pour une fois, on peut dire que l'argent a vraiment une sacré odeur, s'écria Patrice d'un rire triomphant. Samuel l'accompagnait joyeusement.

 

Fini le taudis dans lequel ils vivaient avec leurs parents et leurs 6 frères et soeurs, il avait su trouver le bon filon grâce au cambriolage du laboratoire implanté à Abuja par un consortium privé américano-européen pour fabriquer le virus de cette maladie. Ils avaient eu l'idée d'ajouter dans les éprouvettes de la vanille , pour passer sans problème les contrôles par les douaniers nigériens.

Le trajet vers le détroit de Gibraltar se déroula sans encombre. Un bateau à moteur les attendait mais qu'elle ne fut pas leur surprise quand 5 policiers de la douane espagnols les arrêtèrent.

- Je crois que vous avez signé un aller sans retour vers l'Europe, les gars ! ricana le pilote qui n'était thaïlandais que d'origne et avait la nationalité française ( l'accent thaïlandais, plus c'est gros, plus c'est crédible ) et avait pris la précaution de prendre contact avec les autorités.

 

L. P.

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Quand les mots guérissent les maux
Anchor 19102014
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