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Une heure venait de s'écouler et l'ombre du drapeau était maintenant dirigée sur le bitume chaud. Les voitures continuaient leur ballet incessant, s'arrêtant de temps en temps, comme pour reprendre leur souffle, avant une énième reprise de la chorégraphie.

Un filet d'eau coulait le long du tuyau vers la commissure de ma bouche.

Mes yeux continuaient à fixer la sortie de l'hôtel, sans crispation.

Ma position allongée ne pouvait pas durer plus de 5 heures d'affilée. Au-delà, je devais changer de lieu afin de ne pas attirer les soupçons.

Les passants entraient et sortaient de l'entrée de l'hôtel, certains prenaient l'ascenseur.

Une banderolle lumineuse faisait défiler des messages relativement peu exotiques : "Bienvenue à Manhattan", "La température extérieure est de 34 degrés" ou encore "En cas d'urgence, appelez le 911".

Soudain, je sentis une forte pression s'exercer sur moi, comme si on voulait me tirer.

Je quittais quelques instants les yeux de ma visière.

L'homme avait une tenue de policer, et son bâton en main, prêt à m'infliger une sanction sévère sur le crâne.

- Veuillez me suivre, s'il vous plaît. Toute résistance est inutile.

- Ca tombe mal que vous soyez là, j'ai justement une mission à terminer pour votre patron.

- Justement, notre patron a été éliminé par la personne qui vous projettiez de tuer. Nous souhaiterions que vous collaboriez avec nous pour le retrouver.

- Vous voulez donc dire que le tueur n'est pas dans l'hôtel ?

- Hélàs, non. Ce type semble changer de lieu sans que l'on sache comment.

Pour ma part, je n'ai cru aux pouvoirs surnaturels que jusqu'à mes 20 ans, quand j'ai découvert, lors d'une chute de trapèze de 50 mètres au temps où je vivais du cirque, qu'un homme ne pouvait pas se redresser sur ses jambes. 

Depuis cet accident, j'ai arrêté de lire des histoires de super-héros et j'ai tiré avantage de mon handicap en devenant tireur d'élite. Quitte à avoir une position inconfortable, autant qu'elle se fasse sans douleur.

Nous prîmes un hélicoptère et nous nous dirigeâmes vers un immeuble comme on peut en trouver des centaines à Manhattan.

Nous prîmes l'ascenseur, en direction du sous-sol.

Je sortis le premier, suivi du policier. Il passa sa main sur un détecteur, ce qui eu pour effet de déclencher l'ouverture de la porte. 

- Nous en savons beaucoup sur vos caractéristiques physiques et nous pensons, que vos talents peuvent nous aider à le retrouver. Notre service d'exploitation physionomique a mis au point un système d'aide au déplacement. 

- Et concrètement, vous allez me greffer de nouvelles jambes ? 

- Pas vraiment, nous ne faisons pas encore de chirurgie réparatrice. Par contre, nous allons vous implanter une puce électronique qui va vous permettre de localiser très précisément une cible et de nous transmettre en temps réel sa position. 

- Même dans un lieu inaccessible ? Même sous une avalanche ?

- Tout à fait. Et ce sans bouger de là où vous êtes et sans changer vos habitudes. Le tueur ne doit pas savoir que vous l'espionner. Toutes les positions seront enregistrées sur une clé micro USB qui vous sera également greffée.

Quatre mois plus tard, nous fîmes un bilan de mes nombreuses détections avec la police.

- C'est bien ce que nous craignons. L'homme se déplace à une vitesse incroyable en une fraction de secondes. Il ne sera pas facile à appréhender.

- Et son point de chute semble toujours être dans les montagnes du Colorado, près d'Aspen.

- Oui, nous prévoyons de vous poster à 2 kilomètres d'Aspen. Un châlet est loué pour vous pour deux mois. Vous partirez demain matin et vos billets sont prêts.

Je pris les billets et m'envola pour une randonnée aérienne direction Aspen.

Une fois arrivé à mon chalet, je pris rapidement position sur le large balcon. 

Au bout de 3 heures, parmi la foule d'alpinistes qui entraient et venaient dans les boutiques de location de ski ou d'abonnement à des cours de ski, tels des centaines de fourmis transportant leurs nourritures, je le vis.

Il ne différait pas des autres, d'un point de vue vestimentaire, mais sa démarche nerveuse, ses mouvements de tête et la crispation de ses doigts dans ses gants dévoilaient son stress.

J'ajustai ma lunette de visée pour lui loger une balle dans le coeur. Mais à peine avais-je posé mon doigt sur la gâchette que l'homme s'écroula.

La police arriva sur les lieux quelques secondes plus tard. Je reçus un appel de la police.

- Vous lui avez tiré desssus ?

- Non, justement.

- Il va finir par nous faire devenir chèvre, soupira le commissaire.

Une semaine plus tard, l'autopsie révéla qu'il avait succombé à une crise cardiaque. Le plus étonnant et que ses organes, à force d'avoir fait des bonds spatio-temporels, s'étaient concentrés vers sa poitrine, comprimant son coeur.

L.P.

Grands jetés de balles

Ancre 12072016

L'oiseau était affolé. Il tentait de battre des ailes mais rien à faire : il restait cloué au sol.

Il tourna la tête frénétiquement, cherchant une sortie mais en vain.

Le sol était couvert de copeaux de bois très courts et sa vue ne pouvait éviter les innombrables barres de fer qui l'emmuraient.

A sa patte droite, un anneau l'obligeait à se tenir tranquille, sous peine de souffrir le martyr à la moindre tentative d'évasion.

Sa nourriture se résumait à un récipient d'eau, changé tous les jours, ainsi qu'à des grains marrons à l'odeur nauséabonde.

Pour se distraire, il ne fallait pas s'attendre aux envolées d'oiseaux migrateurs ou à des combats de singes. La nature était figée, comme morte.

Les sons qu'il émettait ne produisaient aucun retour de la part de ses congénères, et pour cause : il n'y en avait pas. 

La solitude le gagnait et les souvenirs de sa vie passée s'évanouissaient peu à peu : le vent dans les plumes, les discussions enflammées autour d'un ver, l'horizon infini à la cime des arbres.

Pour couronner le tout, la lumière qu'il devait subir au quotidien lui brûlait le bec, si bien qu'il n'avait d'autre choix que de le fourrer régulièrement sous ses plumes pour le refroidir.

- Nous avons également ce magnifique spécimen, qui vient d'Amazonie.

- Comme il est mignon, on l'achète, maman ?

- Vu le prix, ton père et moi allons nous ruiner. 

- Mais maman, dit-elle les sanglots prêts à couler.

- Je te fais marcher, nous allons l'acheter.

- O merci maman ! Je vais bien m'en occuper, promis !

Son nouveau décor semblait moins hostile : des plantes vertes devant ses yeux mais toujours pas de réponse à ses appels.

La nourriture restait identiquement mauvaise. Des piaillements stridents lui parvenaient régulièrement. Il pouvait se consoler d'une chose : la lumière ne lui brûlait plus le bec. Il n'osait pas bouger. Ses journées de captivité l'avait rendu méfiant de tout.

- Allez, viens chercher ! Maman, il ne veut pas voler.

- C'est parce que tu l'embêtes. Il lui fait du calme.

- J'ai vu dans un bouquin qu'il fallait leur parler.

- C'est impossible d'avoir du calme dans cette maison.

- Ne t'en mêle pas, chéri. De toute façon, il est tard, tu devrais déjà être couchée.

- Mais je veux le voir voler, pour voir ses ailes se déployer.

- Non, tu as école demain. 

 

La petite partit dans sa chambre, marmonnant sa déception. 

Le temps passa. Des odeurs et des sons plus familiers revenaient et les matinées étaient l'occasion de faire ressurgir des sourvenirs enfouis.

Il sentit qu'on le déplaçait ; un bout de ses murs s'ouvrit : l'herbe grasse le narguait mais il n'osait toujours pas bouger.  Il vit alors un morceau de viande tomber. La curiosité fut si forte qu'il finit par céder. Ses premiers pas, d'abord hésitants, se firent plus sûrs à mesure qu'il prenait confiance. Plus d'anneau, plus de chaîne, à lui la liberté.

- Puce, fais attention avec la nourriture ! Sinon, privée de barbecue.

- C'est pour lui, il doit aimer la viande, je l'ai lu dans mon livre.

- Peut-être mais la viande, c'est d'abord pour toi. Déjà que, ce matin, tu as voulu lui donner ta tartine à la confiture, je ne veux pas que ça recommence.

- Mais ...

- Il n'y a pas de mais, c'est comme ça. D'ailleurs, ton père et moi pensons qu'il est temps de lui trouver un nouveau propriétaire.

Pendant quelques minutes, il reprit goût à une vie qu'il avait dû abandonner et qu'il s'était résigné à ne plus jamais goûter. Ses appels avaient de nouveau des réponses, le monde qu'il connaissait était à portée d'ailes. Ses dernières lui semblaient à nouveau légères et prompts au vol. Ses réflexes reprirent le dessus et, après quelques tentatives, décolla du sol et parvint à se poser sur la plus haute branche du poirier.

- Maman, je ne le trouve plus ! 

- Il n'a sans doute pas apprécié l'apéro que tu lui as servi.

- Je ne lui ai pas donné à boire d'alcool !

- Je plaisante, ma chérie. Plus sérieusement, il a dû sortir de sa cage. 

La fille se mit à réfléchir. Puis elle baissa les épaules brusquement et soupira, les larmes commençant à monter.

Son père vient la consoler.

- Allez, tout le monde à droit à un peu de farniente, il reviendra sans doute.

- J'aimerais tellement être à sa place, bafouilla-t-elle dans ses sanglots.

Il était heureux à présent, il avait connu le désespoir, l'obscurité, la détresse. Le voilà à nouveau dans son milieu naturel, auprès de ses nouveaux congénères. 

 

L.P. 

Le printemps a fait l'hirondelle

Ancre 25072016
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