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- Mange ce qu'il y a dans ton assiette, un point, c'est tout !

Je pense encore à cette exclamation de ma grand-mère, une personnalité qu'on ne rencontre nulle part ailleurs.

Toute ma chambre, là où mes nuits d'enfant avaient vu naître mes pires cauchemars et mes voyages oniriques parsemés de vaches roses, de tunnels microscopiques et de singes barbus, allait être remplie par de nouveaux jouets, de nouveaux cris, et de robots.

Une aubaine que la maison familiale ait été épargnée par la destruction du quartier. En effet, le plan de rénovation s'appuyait sur les cadastres de 1999. Or, l'extension de la zone résidentielle des Orps, dont notre maison faisait partie, n'avait pas été ajoutée au plan.

20 ans avaient passé sans qu'aucun maire ne se soit soucié de le faire évoluer. La destruction du quartier devenait quant à lui nécessaire, vu la dégradation des murs qui se lézardaient davantage chaque année.

- Papa, est-ce qu'on viendra nous casser la maison ?

- Non, fiston, il n'y a rien à craindre. Maintenant au dodo.

J'éteignis la lumière et rendai à mon fils son cocon nocturne.

Je me posais dans le canapé, une tasse de café à la main. La télé diffusait sur la chaîne publique un reportage sur les archéologues égyptiens, qui s'affairait à déchiffrer une stèle, provenant d'une pyramide à degrés.

Le rythme pesant du commentateur, finissait d'achever ma journée et me plongea dans le noir.

Je me trouvais dans un train, ressemblant à l'Orient-Express, à ceci près que les sièges fournissaient des écrans tactiles sur l'appui-tête. J'étais côté fenêtre et, attiré par la lumière du jour, tournai ma tête vers le rideau. Lorsque je l'écartai, je vis les rues de Reims, qui débouchaient sur celles de Brest, puis celles de Nice, comme si toutes les villes que j'avais connues ne faisaient plus qu'une seule et même ville.

Une voix claire et puissante me détourna de ce panorama improbable et je vis le visage en hologramme de mon père sur le corps d'un contrôleur bien vivant. Quant à mon voisin de voyage, il portait une urne.

- Il y a quoi dans votre urne, monsieur ?

- Tous les malheurs du monde, très cher. Tenez, elle est à vous.

Il me la jeta sur les genoux. Celle-ci s'ouvrit tout seule et les papiers se multiplièrent pour venir inonder nos places puis tout le wagon entier.

- Monsieur, veuillez tenir vos malheurs en place, s'il vous plaît ! me hurla un bouledogue français.

Parmi les papiers qui à présent s'étaient transformés en cartes de tarot de Marseille, une d'entre elles attira mon attention ; aussitôt elle virevolta dans ma direction pour atterrir dans mes mains : elle représentait un bébé dans un berceau, le père et la mère surveillant avec tendresse et bienveillance leur progéniture.

Etrangement, plus je la regardais, plus l'image se déformait pour au final ressembler à une photo de naissance que ma grand-mère avait prise. C'était la seule  sur laquelle mes parents étaient présents. 

Mon voisin se mit alors à prendre la voix du chirurgien qui devait annoncer à mes grands-parents la mort de leur enfant et de son mari, alors que je n'avais pas tout à fait 7 ans. Le vol A67 Paris - Le Caire du 12 avril 2002, qui causa la disparition des 186 passagers, endeuilla la famille. 

Une disparition subite, dont je n'eus pu faire le deuil qu'à mes 28 ans, lors de la naissance de mon fils. 

Le train s'arrêta en pleine campagne. On nous força à descendre. Une fois pied à terre, le train pris une forme bidimensionnelle, comme provenant d'un jeu vidéo des années 90 sur console portable, avant de disparaître.

- "Bienvenues dans le néant, chers passagers. Vos proches vous attendent", lança la voix faiblarde d'un haut-parleur, fixé sur un poteau électrique.

Quelques secondes plus tard, une horde d'individus se dirigea vers nous. Je vis mon père et ma mère, habillés comme le jour de leur départ pour le Caire.  

Sans un mot, je les pris dans mes bras pendant de longues secondes.

Je me réveillai alors tranquillement, la tasse de café toujours dans mes mains. Le reportage d'archéologie avait fait place à une émission consacrée aux arts divinatoires pendant la Renaissance.

- Chérie, tu voudrais bien sortir tes cartes pour moi, s'il te plaît ?

 

 

 

L.P.

Oeil de la Providence

Ancre 17012016

Il y a de cela des siècles, vivait une jeune fermière du nom de Martine

Qui cachait un don rare car reçu, disait-on, d'une intervention divine.

En effet, elle pouvait se faire passer pour quelqu'un d'autre comme bon lui semblait

Et les habitants du village, qui la côtoyait, ne pouvait imaginer pouvoir être dupé.

Un jour, par un beau matin d'été, son destin heureux pris un revers désastreux

Le chef du village avait ordonné son enlèvement, irrité par ce talent devenu maléfique à ses yeux.

Il envoya alors à la jeune femme une lettre, l’ordonnant d’arrêter ses actes diaboliques.

Dans le cas contraire, elle serait châtiée et envoyée sur une île déserte et volcanique.

La pauvre Martine, qui ne voyait rien de mal dans son activité,

Garda ses habitudes qui, somme toute, amenaient dans le village une certaine gaieté.

Lui ayant laissé trois jours, le chef la fit surveiller en toute discrétion

Par un jeune soldat de sa garde mis en faction.

Il se fit passer pour un vendeur de vaisselle du village d’à côté

Et s’installa sur le marché, là où Martine sévissait, à n’en point douter.

La jeune femme passa alors près de son échoppe ambulante

Mais il ne savait pas qu’elle vendait des plantes pour le moins piquantes.

Se faisant passer pour une veille dame, elle souhaita lui échanger ses articles en porcelaine contre quelque uns de ses piments. 

Ne se doutant ni qu'il s'agissait de Martine ni des pouvoirs que ces fruits cachaient

Conclua l’affaire, en prit un et se mit, pour goûter, à le mâcher.

La surprise fut à la hauteur des cris qu’il poussa, la bouche endolorie.

- Mon Dieu, sale sorcière, tu m’as trompé ! Mon maître t’en fera payer le prix !

- Que tu es sot, tu as pris une trop grande bouchée ! 

Bois un peu d’eau et tu ne seras plus fâché. »

Ce qu’il fit et constata effectivement que la douleur s’était calmée .

Le jeune soldat s’excusa, et lui avoua l’avoir également trompée.

- Toi aussi tu trompes les gens ? J’avoue que tu es doué. 

- Moi aussi, je t'ai menti, dit-elle en lui dévoilant sa véritable identité.

- Ta façon de faire ne me laisse pas indifférent, mon gaillard.  

Cette connivence naissante leur permit de préparer un tour au chef, ce vil pendard.

C’est ainsi qu’avec la fusion de leurs talents d’imposteurs, ils firent croire aux habitants du village

Qu’ils avaient tous été dupés par le chef, leur montrant que Martine n’avait rien d’une sauvage.

Un groupe de mercenaires, convaincus par leurs discours, 

S’exclamèrent : « Nous souhaitons vous aider et vous apporter notre concours »  

- Envoyez-le sur l’île qui devait être mon ultime lieu de résidence 

Le lendemain, le journal annonça l’exil du chef, lui interdisant de ce fait toute forme de médisance.

Du trône dont il fut déchu, nos deux âmes-soeurs en prirent possession

Et ordonnèrent que l’art de l’imposture puisse être pratiqué par tous avec passion.

 

L.P.

Les piments  de Martine

Ancre 25012016
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