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La fusée venait de décoller dans un ciel dégagé.  Les fumées qui s'extirpaient des deux tuyères déchiraient verticalement le paysage tranquille. Le site de lancement se repeupla doucement, comme des fourmis qui s'affairaient à récupérer leurs oeufs après la tempête.

De la tour de contrôle, je m'essuyais le front, trempé après une interminable heure à surveiller les valeurs de dizaines de paramètres au niveau de la sortie des gaz dans la tuyère numéro deux.

Je me levais péniblement de mon siège pivotant, dont le dossier en cuir avait gardé les stigmates de mes mouvements incontrôlés du dos pendant le décollage.

J'éteignis l'écran en appuyant lentement sur le bouton vert et en le maintenant enfoncé trois secondes. Pendant ce temps étonnament lent, je repris ma respiration après une saccade qui me fit écarquiller les yeux. 

- Ca va, Arnaud ?

- Oui, Olga, pas de problème. C'est juste que j'ai du prendre mon boulot trop au sérieux. Un passage en sas de décompression me ferait sans doute du bien.

Nos visages s'illuminèrent d'un rire, qui dura pendant quelques instants.

- Allez, tu peux rentrer, on a terminé notre boulot pour cette semaine. A lundi.

Je pris ma veste et me tourna vers la porte sécurisée. Je passais mon badge sur la réceptacle quand un éclair de conscience me fit stopper net mon mouvement.

C'était comme si le résultat d'une équation apparaissait enfin après des années de calcul.

Elle était là, sous mes yeux. Sa chevelure, son visage, notre complicité intense. Je me tournais un instant vers la table de contrôle, mais elle avait disparue.

 

Le regard dirigé vers la Terre, je la dévisageais sans un mot. Notre fusée se posa sur une île de glace, flottant sur une immense mare d'un liquide vert métallique. Pas de vague, pas d'animaux ni de végétation. Ike se dirigea  le premier vers le sas d'habillage et enfila sa tenue de sortie. Il appuya sur le bouton de déploiement, ce qui ouvrit la porte de la fusée dans un bruit hydraulique discret.

- Le liquide bouge mais mes capteurs ne détectent aucun déplacement d'air. De plus, la Lune est bien trop éloignée pour que son influence agisse sur cette planète, nous décrivit Ike.

- Fais un tour sur la pirogue, dis-je

- Bien.

Ike appuya sur un levier et fit éjecter la pirogue qui se gonfla instantanément. Son attterrissage pris quelques secondes, du fait de la faible gravité.

La caméra fixée sur son casque nous montrait le paradoxe de la situation : comment un liquide pouvait tenir sur une planète dont la gravité rend théoriquement impossible toute trace de lac, de rivière, ou d'une flaque d'eau ?

Ike était à présent assis dans l'embarcation, quand il se mit à zoomer sur la surface du liquide.

- Les gars, je pensais que c'était de l'eau, mais ce n'est pas de l'eau. C'est ... c'est ... pire que çà.

- C'est-à-dire ? 

La caméra suivait les mouvements de la pirogue. Pendant une minute, nos yeux essayaient de comprendre ce qui pouvait composer cette mare.

Au bout de cette interminable minute, la voix de Ike résonna fébrilement dans mes écouteurs.

- Les gars, c'est ... vivant !

- Quoi ?

- Ce truc est vivant. J'ai plongé ma main gauche et j'ai senti des fourmillements sur mes doigts et la paume.

- Il doit y avoir du matériel d'analyse dans ta combinaison. Prend la fiole auto-analysante dans ton bras droit.

- D'accord.

Nous sentions sa respiration, mêlant concentration et appréhension.

- C'est bon ?

- Oui, je l'ai. 

- Bien. Tu la décapsules, tu la plonges dans le liquide, et tu la referme une fois qu'il y a du liquide jusqu'au trait rouge. Puis tu secoues  énergiquement le tube verticalement pendant trois secondes. 

Ike suivit scrupuleusement nos directives. 

- Je fais quoi maintenant ?

- Tu range la fiole dans son emplacement d'origine et tu tournes la molette sur "Analyse".

Quelques secondes plus tard, un voyant vert s'alluma sur mon tableau de bord. Je basculais l'affichage sur l'écran central.

- Ike, rentre tout de suite dans la fusée, hurla le bactériologue assis face à moi.

- Qu'est-ce qui se passe ? C'est quoi, ce liquide ?

- On t'expliquera plus tard mais dépêche-toi.

- Bien.

Une fois la caméra posée dans le cockpit, nous pûmes lui expliquer la découverte.

- Cette mare n'est pas de l'eau, mais un bouillon bactérien gigantesque. Il s'agit d'une bactérie qui s'apparente à une espèce qui existe dans les fonds marins sous l' AntarctiqueOn ne sait pas encore les risques exactes sur l'Homme, mais, vu que tu as senti des fourmillements, il est possible qu'elle soit attirée par des composés qui traversent la combinaison. Nous en saurons plus à ton retour demain. 

Ike semblait abasourdi par les révélations du bactériologue.

Le lendemain, la fusée se posa sur Terre et les anayses furent entamées sur l'échantillon de mare.

Olga, dans sa blouse blanche, était devenue une princesse. Je la regardais prendre la fiole, avec ses longs doigts couverts à ses extrémités d'un vernis rouge profond.

Ses boucles d'oreilles en forme de coquillage virevoltaient dans les airs.

Ma Vénus me regarda, me lançant un sourire qui m'envoyait des flammes amoureuses dans le coeur.

- Réveille-toi, Arnaud. Avant l'amour, il y a le travail, me rappela soudainement mon cerveau.

Ike, Olga, le bactériologue et le directeur scientifique de la mission se réunirent dans la salle de réunion, face à notre poste de contrôle.

Pendant qu'Olga dévoilaient ses jambes parfaitement épilées, le scientifique fit défiler devant Ike son rapport d'analyse.

- Cette bactérie a la capacité de décomposer toute sorte de métaux, de plastiques, ainsi que des tissus organiques ...

- Y compris les tissus humains donc ?

- Tout à fait, fit le bactériologue, tout en avalant nerveusement une gorgée de salive.

- Et qu'est-ce qui a pu provoquer leur prolifération sur cette planète ?

- La théorie la plus plausible est que les métaux qu'elles ingurgitent proviennent des milliers de débris qui gravitent autour de la Terre. En percutant des météorites, certaines peuvent quitter l'orbite terrestre et venir dériver vers cette planète et tomber dans ce bouillon.

- Et nos bactéries terrestres sont-elles capables de cet exploit métabolique ?

- Nous l'ignorons pour l'instant. 

- Une expédition en Islande n'a-t-elle pas été réalisée cette année au sujet de bactéries sous-marines qui se nourrisent de composés organiques issus de poissons morts ? demanda Olga, d'une voix délicate, avec un soupçon d'accent russe qui lui donnait un charme dévastateur.

- Exacte, mais les résultats n'ont pas été officiellement reconnus : l'étude n'est d'ailleurs pas disponible sur le site du NCBI.

- Il faut poursuivre les recherches. Notre programme médical sur la décomposition des morts pourrait reprendre des couleurs.

Ce programme avait effectivement subit une traversée du désert de 15 ans, suite à l'arrivée du gouvernement ultra-libéral qui avait coupé les crédits budgétaires à toute recherche biomédicale sans but mercantile. La recherche sur la décomposition des cadavres dut cesser. Mais le revirement politique, en 1985, suite à la victoire aux présidentielles du parti des ultra-écologistes, fut bénéfique au département biomédical du centre de recherche bactériologique, qui devint un fleuron national en dix ans.

 

Olga sortit la première de la salle, telle une reine en procession, suivie de Ike, le bactériologue et directeur de recherche.

Le lendemain, le directeur annonça une réaffectation de nos postes. J'avais à présent une mission au sein du laboratoire où travaillait justement Olga. J'étais suffisamment polyvalent pour exercer une mission de laborantin, pourvu que je pouvais être proche d'elle. Je nous imaginais seuls, dans une yourte, l'un contre l'autre, à profiter du bonheur d'être ensemble.

L.P.

Vénus sortant des mers bactériennes

Ancre 16082016

Une odeur agréable sortit du four ; le gâteau marbré venait d'achever sa transformation : le vulgaire amalgame élastique de farine, de sucre, de chocolat et d'oeuf se mua en quarante minutes en un volumineux gâteau aux proportions dignes d'une cathédrale.

Je le sortais délicatement du four ; la vapeur qui s'était accumulée dans le four surgit et m'enveloppait de toute sa chaleur.

Une fois l'oeuvre culinaire posée sur une assiette, je me surpris à l'arroser d'une pluie de vermicelles en chocolat. 

Le repas ne manquait plus que lui pour être clôturé. Les convives le réclamait depuis le début de la soirée.

Un peu plus tôt, avant d'entamer le repas, mon meilleur ami me fit une belle surprise.

- Didier, j'ai ramené un champagne.

- Merci, celà ira bien avec le gâteau.

- J'ai hâte d'honorer ton dessert. Tu nous en as tant parler et j'espère qu'il sera à la hauteur des mérites que tu lui vantes.

- J'espère que le bouchon sautera jusqu'au plafond.

- Te voilà superstitieux, maintenant ?

L' impatience gagnait à présent l'assemblée. Je le posais sur un chariot, que ma petite fille poussa lentement vers la table de la salle à manger. Le silence se fit. Même les mouches et les moustiques avaient eu la décence d'interrompre leur éternel concours de voltige aérienne, comme pour appuyer le moment solennel.

Au moment où le gâteau arriva à la vue des invités, les yeux se braquèrent vers lui. Ma mère, qui était à l'autre bout de la table, sortit ses lunettes. Le moment était venu de la dégustation.

Le chariot atteignit, sous le regard intrigué du teckel, sa destination. Mon fils prit l'assiette par les deux mains et la souleva avec une assurance qui lui donnait un air sérieux.

- Bien, dit ma mère. Enfin, le voilà.

Je repris ma place, juste face à ma femme.

Je me cramponnais à mon siège car je savais ce qui allait se passer dans les trois prochaines secondes. La caméra que j'avais braqué sur ma mère avait capturé le début de l'enfer qui régnait depuis maintenant cinq ans.

- La pause se termine dans une minute, messieurs. Veuillez penser à recharger vos armes avant la sonnerie.

Je ne voulais pas reprendre ce combat ; ma dernière video avant le "Boucan" avait fait depuis sa diffusion en juin 2029 une audience croissante mais pas assez pour que les médias en fassent l'écho. 

La minute s'était écoulée et j'interrompis la lecture de ma video. 

Je sortit de ma poche la brochure que je gardais depuis mon incarcération dans le centre de conflit, qui n'est autre que mon hôtel de luxe : le Voslav Tourista.

Cet hôtel, j'y avais mis toutes mes économies et je voulais fêter la fin des travaux par ce gâteau.

L.P.

Recette du soufflé au canon

Ancre 24082016
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