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Il était une fois, dans les flots tranquilles d'une rivière sans nom, vivait une algue qui s'ennuyait de ne jamais pouvoir découvrir autre chose que son espace vital, qui se limitait à quelques pierres et 3 autres congénères.

Un jour, il s'adressa à un poisson, qui passait près de ses tentacules verdâtres.

- Flllllllldebleeeeeeee - long silence de 10 secondes – fllble ?

Ce qui voulait sans doute dire :

- Dis, toi, tu ne saurais pas m'aider à me détacher pour que je puisse découvrir autre chose que ces quelques pierres et mes 3 congénères collants. Et au poisson de répondre :

- Fais-toi greffer des nageoires et une queue, hahaha !

Ce trait d'humour, aussi ironique et humiliant soit-il, avait l'avantage d'être une réponse plus respectueuse, comparée aux millions de crustacés, mollusques et autres poissons qui le longeait sans jamais lui adressait la parole, et ce depuis sa plus tendre enfance.

- Il me faudrait un miracle pour arriver à te ressembler.

Car, en effet, il avait passer l'âge de croire aux fantasmes de la transformation, comme quand sa mère lui lisait « La grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf » avant de s'endormir. Mais un escargot d'eau douce, qui sortait à peine de la vase, lui dit :

- Il te faut frotter la coquille de l'Escargot Sacré et un génie en sortira. Demandes-lui alors ton vœu et il sera exaucé.

- Mais c'est mission impossible, autant chercher une anguille dans une meule d'algues !

Et il avait raison, notre héros, car la vase dans laquelle il était fixé pullulait de ces escargots, tout comme lui. Alors qu'il allait plonger dans une nième dépression, notre ami algue sentit une douce chaleur sur son parenchyme : c'était le soleil.

- Tes brassements d'eau m'ont émis, je veux bien t'aider, mais, je ne ferais sans doute pas de miracle. C'est alors qu'il se mis brusquement à chauffer encore et encore.

- Mais tu es fou, tu vas nous tuer !

- Mais non, dit le poisson, regardes autour de toi !

En effet, les escargots, attirés par la chaleur, sortirent de leur vase et se mirent à flotter en direction de notre ami l'algue.

- Trouve l'Escargot Sacré avant qu'ils ne te dévorent tout cru ! lui hurla l' ami-escargot

- Mais comment ?

- Il a deux marques, en forme de S.

Notre héros agita son corps et toucha la coquille de ses centaines d'herbivores à la recherche des deux S.

- Ca y est, je l'ai trouvé ! Malheureusement, ses mots se perdirent dans les remous impétueux, causés par le passage d'un bar rayé.

- Ils sont tous parti, plus jamais je ne trouverais l'Escargot Sacré, et je finirais mes jours dans cette vase, alors que notre héros allait une fois encore plonger son esprit dans quelque nébulosité.

- Mais non, dit le poisson, regardes en bas !

En effet, un gastéropode était resté fixé sur lui.

- Est-ce bien vous l'Escargot Sacré qui peut exaucer tous les vœux du monde ?

- Pas vraiment,non. Mais par contre, si tu comptes sur moi pour rester ici, c'est rapé. J'ai grand faim et tu es pile poil à mon goût.

- Et bien, soit, mangez-moi, si telle est ma destinée.

Mais à peine l'escargot avait commencé à le grignoter que le miracle se produisit : l'algue quitta son substrat et se mit à flotter dans les eaux.

- O merci, cher Escargot ! Et merci monsieur le bar d'avoir fait approcher cet escargot de vos remous, merci monsieur le Soleil d'avoir attiré à moi les escargots hors de leur habitat d'hiver, merci à toi, cher ami poisson et cher ami escargot, de vous être arrêtés pour me conseiller.

- Mais de rien, répondit l'escargot. Et sache que c'était moi, l'Escargot Sacré. Et pour ne pas avoir baissé les thalles, je te donne le droit de me demander le vœu que tu souhaites, et il sera exaucé.

- O merci Escargot Sacré ! Alors, je souhaites que tous mes congénères soient libres !

- Voeu exaucé !

C'est alors qu'une tornade d'eau de mer, produite par un ouragan qui venait de se former sur la Floride, s'abattit sur la rivière et fit arracher de la vase des milliers d'algues, qui vécurent de folles aventures avant de finir leur vie sur une plage de sable fin.

 

L.P.

Pluie d'algues

Ancre 18122015

Un sabre effleura mon visage. J'avais les yeux fermés mais je l'avais senti avant même qu'il ne traverse l'air.
Je rouvris les yeux, sans rien changer à mon attitude. Je fixais le ciel parsemé de nuages.
Je tournais la tête ; il y en avait à perte de vue. Je ressentis à nouveau mes mains et une sensation de douceur molletonnée pénétra mes chairs et remonta jusqu'à mon cerveau.

J'étais bien vivant.
Je me décidais à solliciter mes membres pour une mise à la verticale. J'avais l'impression d'avoir tout le temps pour me redresser, de jouer avec mes articulations, de les lustrer, de trouver la bonne position des jambes, du dos, des mains, d'avoir droit de me tromper, d'expérimenter différentes techniques, de vivre pleinement la sensation de la peau de mes membres les uns sur les autres. Pour ne plus avoir mal, pour faire . J'en profitais pour regarder autour de moi. Le sabre avait pris place dans les mains fortes d'un samouraï, tout de noir vêtu.
Face à lui, un jeune garçon, en tenue scolaire et un double décimètre en plastique transparent à la main. Je lui attribuais une nationalité approximative : allemand ou tchèque.
Ils se saluèrent. A peine avaient-ils tourné les talons qu'ils s'évaporèrent.
J'étais dans la même tenue que quand j'étais encore en bas : nu.
Je sentais encore les gouttes d'eau de la douche couler sur mon corps et s'infiltrer dans tous les plis que les années avaient forgés sur moi. Mais celles-ci avaient maintenant disparues.
- Monsieur va bien ?
Cette voix d'une immense délicatesse était celle de l'agent d'accueil.
Je pris un instant de réflexion.
- Vous ne m'êtes pas inconnu. Ne nous serions-nous pas croisé dans un de mes innombrables hôtels que j'ai fréquenté en bas ?
- Effectivement, j'étais à l'accueil de l'Alvear Hotel de Buenos Aires.
- Lionel Esteban ?
- Exact. Bienvenue à monsieur chez vous. Vous trouverez des affaires propres dans votre chambre, la numéro 657 908 689 324. Et voici vos clés. Bon séjour chez vous.
- Merci Lionel.

A peine avais-je pris les clés que mon corps ne dispersa dans les airs à la vitesse de la lumière. Et me voilà déjà devant ma chambre.
La porte s'ouvrit et laissa sortir une odeur qui m'était si familière : celle du tabac que j'aimais fourrer dans la pipe que mon grand-père m'avait offert à mon 18ème anniversaire.

Sculptée dans du bois de bruyère, elle présentait une tête de sanglier.

Je la vis sur la petite table de chevet, sur laquelle prenait également place une plaque de chocolat. Celle-là venait de Colombie. De tous ceux que j'ai pu goûté, c'est de loin mon préféré.
J'en pris un morceau. Mes papilles n'avaient jamais ressenti une telle profondeur gustative ; je reçus une décharge électrique telle que mes yeux furent grand ouverts pendant une dizaine de secondes. Mes ballades sur le fleuve Magdalena me revinrent en mémoire dans les moindres détails comme dans une odyssée cérébrale.

Cette minute de souvenirs me parut durer cinq années. Une fois redescendu de mon petit nuage, le faim et la soif me rappelèrent aux réalités et me dirigeait vers la réfrigérateur. Une rangée de bières spéciales dormaient paisiblement dans le comportement du haut.
J'en saisit une , une canadienne, et alla chercher un décapsuleur. Une fois débarrassée de son opercule, je la portais à la bouche et pencha ma tête en arrière.

Là encore, j'étais comme transporté 40 ans en arrière, revivant chaque seconde de cette finale de hockey sur glace, pour assister à une coupe Stanley mémorable. Les larmes se mirent à couler à la vue du palet de la victoire des Maroons de Montréal.
Une dernière gorgée et me revoilà face à ce frigo, encore plein de souvenirs à revivre.

Je contemplai à présent la pièce : elle était digne d'un hôtel quatre étoiles et parée de milles et une couleurs dont peu m'avaient été données de rencontrer dans ma courte existence en bas.

Soudain, l'obscurité pris place et sentit un brusque courant d'air, suivi d'un forme immense qui s'abattit sur moi.
Elle fit tomber la table de chevet, les sièges impeccables, les rideaux s'arrachèrent, le lit à baldaquins s'écroula, le frigo s'ouvrit. Le plancher, sous le poids de cette forme, s'ouvrit en deux. J'ouvris la fenêtre et m'adressa à un des gardiens :

- Ma chambre est en train de s'effondrer !
- Alors vous avez dû terminer votre phase d'épilogue.
- D'épi quoi ?
- D'épilogue, le dernier chapitre du livre de votre vie. Vous savez, la vie est comme un livre qu'on achève par l'épilogue. Il faut toujours un épilogue. Et votre épilogue vient de se terminer. Ce n'est pas de pot. En général, un épilogue dure une semaine. Vous avez fait quelque chose de mal en bas ?

- Je ne pense pas, non. J'étais président de la République dans mon pays.
- Alors là, je comprends ! Votre vie était sans doute bien remplie mais sur le dos de votre peuple. C'est bien mérité, voyez-vous.
J'eus à peine le temps de lire ce qui était écrit avant de tomber dans la crevasse :

FIN

L. P.

 

Oraison funeste

Ancre 04012016
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