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Ancre 23112017

- Bonne année !

- A toi aussi, meilleurs voeux pour cette nouvelle année ... 

- 2980 ! 

- Oui, tout juste !

Cet oubli, qui passa heureusement inaperçu auprès de sa collègue Cynthia, n'était pas le premier.

- Et alors ? Toujours dans tes pensées ? Tu ne changeras pas, même après un accident vasculaire cérébral.

- Il faut croire que mon cerveau n'a pas été si touché que ça, dit Patrick en souriant jaune.

Cacher de petits défauts de mémoire, cela va bien un temps. Il lui fallait trouver une solution rapide pour éviter de se faire remarquer ; son amnésie risquerait de lui faire perdre sa place. Accident ou pas, les points perdus le sont définitivement.

- Je passe au petit coin avant la réunion, j'arriverais à l'heure dans tous les cas, c'est l'espace d'une minute.

- Pas de problème. De toute façon, le maître de conférences aura dix minutes de retard, à cause des embouteillages sur la nationale 3X.

- Tu peux la remercier, elle te sauve la mise encore une fois

- Je ne t'avais pas dit de te taire ? 

- Si, mais c'est tellement drôle de te voir perdre tes moyens ; ça me change de d'habitude.

- J'aimerais être d'aussi bonne humeur que toi, mais pas ce matin. Et surtout avec mon capital déjà bien négatif ...

- Tu risques fort de te pisser dessus. Allez, lâche un peu ton stress, détends-toi ! On dira que c'est ton petit pépin actuel qui se réveille.

- Tes réflexions commencent à m'énerver. Tu veux bien me laisser tranquille, j'en ai besoin maintenant, si ça ne t'ennuie pas, monsieur j'ai-l'infini-connaissance-de-mon-esprit !

Le voyant de son implant se mit à l'orange, lui permettant de satisfaire son besoin pressant. Mais à peine eut-il remonté la fermeture de son pantalon qu'il repassa au violet.

- Il est l'heure ! Il est l'heure ! Il est l'heuuure !

- Mais tu vas te taire, lui ordonna-t-il en frappant du poing droit sur le rebord du lavabo.

Il hurla de douleur ; un participant se précipita dans les toilettes.

- Ca va ? Ca vous arriverait de faire moins de bruit ! Je ne voudrait pas perdre de point en m'énervant contre vous.

- Pas de souci, dit Patrick, le voyant revenu au vert.

- Bien, la présentation va bientôt commencer, installez-vous vite.

Patrick rassembla ses énergies pour tenter de tenir quarante-cinq minutes au vert. Pendant ce temps, le compteur global n'avait toujours pas évolué.

Le Gardien de l'Existence poussa la porte de la salle de conférence et tout le monde se leva d'une traite.

- Messieurs, dames, désolé pour se retard indépendant de ma volonté, dit le Gardien, le voyant au vert. Lui-même avait eu chaud ; c'était la première fois qu'il avait à expérimenter le voyant violet.

Heureusement, son calme avait rapidement pris le dessus. Mais cette expérience fugace fit évoluer le compteur global de la zone vert 5 à vert 4.

Une réunion fut organisée en urgence, comme le veut l'article 345 du code de la Cité.

- La voix principale vient de nous communiquer un basculement du vert 5 au vert 4. Nous devrions savoir rapidement qui est responsable de ce déséquilibre.

L'écran de la salle de réunion projeta quelques diapositives. Sa voix était claire et calme. Aucune sensation de stress ou de confusion, ni d'euphorie mal-placée. Comme si rien ne pouvait troubler son discours. 

L'incident qu'il avait dû affronter avec elle semblait inexistant. 

Mais, il était de dos. Le mystère ne devait pourtant pas durer longtemps sur l'identité du fauteur de troubles ; l'avenir de la Cité était en jeu. Ne rien dire. Ne rien révéler.

L.P.

Carrefour des esprits

Le tableau venait d'être décroché ; la marque noire laissée par le temps fut nettoyée au laser.

- Cela fera cent euros, madame.

- Cent euros ? Vous êtes bien sûr ?

- Parfaitement. Les tarifs ont toujours été les mêmes depuis vingt ans.

- Bien. Elle lui tendit un billet de cent euros, tout en arborant une mine de déception.

Elle fit conduire le tableau, à présent dans une pochette noire en coton, dans l'hélicoptère qui attendait au sommet de l'immeuble.

Dix minutes plus tard, Lady Succube prit place derrière le pilote, juste à côté du tableau qu'elle venait de faire voler. Ou plutôt "emprunter pour une durée indéterminée", avait-elle l'habitude de répéter à ses petits-enfants.

Son petit pêché s'envolait à présent pour Sydney, où elle devait l'exposer dans son salon.

L'hélicoptère avalait les kilomètres avec une aisance infernale.

Les pales semblaient flotter sans à-coups.

Mais le mélange air-essence commença à faire des siennes à dix kilomètres de leur destination.

- Nous perdons de l'altitude, madame. 

- Redressez, bon sang ! Vous voulez me voir mourir ou quoi ? 

- Non, madame. Nous faisons le maximum.

L'appareil commença à piquer ; s'ensuivit un brusque arrêt du tableau de bord. Le perte de contrôle de l'hélicoptère devint inévitable. Attiré de nouveau par la gravité, il entama une descente fulgurante en direction d'un ancien stade de football australien à l'abandon.

Les pales se fichèrent dans la terre et le moteur explosa au contact du sol ; les occupants furent projetés sur les gradins et aucun ne survécut à l'accident. Les flammes rongèrent la carcasse métallique jusqu'à ce que la noirceur extrême des fumées fut emportée dans le vent.

Deux jours plus tard, on retrouva les corps. Il furent transportés à l'hôpital civil de Melbourne, le seul encore capable de pratiquer des autopsies.

- Mes chers élèves. Voici le corps d'une femme, morte dans un accident d'hélicoptère. 

Le médecin légiste portait une tenue peu conventionnelle : pas de blouse blanche, ni de scalpel pour pratiquer les incisions. Ses gants en latex noir faisaient l'objet de nombreuses interrogations, tantôt agacés, tantôt interloqué.

Il plongea ses doigts à travers le crâne béant de la vieille dame, dont il ne restait que le tronc et la tête, les jambes ayant été tronçonnées par les pales de l'hélicoptère.

Le parcours de ses doigts gantés, bardés de mini-caméras, fut retransmis en direct sur plusieurs plateformes de diffusion audiovisuelles.

- Nous voici à présent dans l'hémisphère gauche, et plus particulièrement dans le lobe pariétal.

Il est à noter que la couleur des tissus, à cet endroit, n'est pas celle que l'on attendrait d'un cerveau mort habituel. Le noir est majoritaire, avec des zones verdâtres et jaunâtres.

- Que pensez-vous donc qu'elle a pu subir comme traumatismes pour avoir ce genre de coloration, docteur ?

- Bonne question. Il semble que nous soyons dans un cas rare de syndrome d'Ezechiel. Il n'y a qu'une personne sur trois milliards à avoir été diagnostiquée pour ce syndrome.

- Ne s'agirait-il pas d'un virus zombie qui vient réveiller des zones habituellement endormies du cerveau qui, une fois activées, détruisent les cellules nerveuses liées à la conscience morale ?

- C'est bien cela. Il s'agit d'une torture virale et les personnes atteintes semblent avoir un terrain génétique particulier qui favorise le développement de ce virus.

La vidéo se termine sur un zoom sur les zones noires. Puis tout s'éteint. L'image se fige sur les milliers d'écrans d'ordinateur et de smartphones.

Les zones du cerveau sont ensuite refermées dans un casque en plexiglas, de la forme du crâne. Puis les lumières s'éteignent dans la salle de dissection principale. 

Sonne minuit dans le couloir. C'est à ce moment que le virus diabolique se réveille, générant une activité cérébrale discrète mais démoniaque.

 

L.P.

Zombicéphale

Ancre 12122017
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