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Quand les feuilles mortes se sont soulevées

Anchor 01032015

Le stade était plein à craquer. Mon écharpe rouge sur les épaules, je m'assis à côté d'une femme, qui aurait pu faire trembler n'importe quel rugbyman professionnel.

Le soleil était au rendez-vous, une légère brise fit tourbillonner les feuilles mortes qui jonchaient la pelouse du stade national.

Pour une fois, mes parents avaient daigné me laisser partir. 

Nous devions nous rejoindre, Steve, Wendy et moi, devant l'entrée principale. Nous prîmes place près de la tribune Est, habituellement réservée aux supporters de l'équipe locale des SpringJets.

La foule s'étalait dans les gradins comme une nappe de chocolat sur des boules de glace à la vanille.

Puis vint le tour des agents municipaux d'installer une estrade. Un tapis bleu recouvra les 2 marches puis une portion de l'herbe.

Cà et là, on passait nous distribuer des seaux de pop-corn. Je reconnus Marthy, qui, sans sa casquette, laissait découvrir son crâne luisant.

   - Faut bien lui faire prendre l'air, à celui-là !

Il désignait sa tête du doigt, et se mit à rire à gorge déployée.

Face à nous, quelques individus brandissaient des pancartes, à l'évidence à destination de la minorité : "Petit noir, peluche pour vieux", "Le seul blanc que Dieu t'a autorisé à avoir, c'est celui de tes yeux, alors ne viens pas le souiller avec tes larmes".

15 heures sonnèrent. Un homme se dirigea vers l'estrade, gravit lentement les 2 marches, et s'approcha du microphone. Un léger Larsen se fit entendre.

"- Mesdames, messieurs, veuillez accueillir Monsieur le Président."

L'hymne national hurlait dans les hauts-parleurs, disséminés dans toutes les tribunes. Une dizaine d'agents de sécurité se postèrent en quelques secondes devant les rangées , pour prévenir tout débordement.

Mais le président, qui avait beau être acclamé pour nos applaudissements, ne vint pas. Une femme arriva et rejoignit celui qui avait pris la parole. Elle lui parla quelques instants à l'oreille. De la où nous étions, nous ne pouvions rien entendre. Mais, le visage qu'il montrait ne laissait pas de doute sur la nouvelle qu'il allait devoir nous annoncer.

La femme se tint à ses côtés. L'homme s'adressa de nouveau au public, qui commençait à s'impatienter.

"- Mesdames, messieurs, j'ai une annonce grave à faire passer." Il s'arrêta quelques instants, puis repris, la voix tremblante.

"- le Président est mort."

Ces mots firent l'effet d'une bombe. Mais, pour une raison encore inexpliquée aujourd'hui, près de 20 000 personnes se levèrent et se mirent à chanter l'hymne canadien, comme un seul et même homme.

Ceux qui portaient les pancartes à caractère raciste se firent râleur mais n'eurent pas d'autre choix que de chanter à leur tour, menacés par certains spectateurs.

Un immense drapeau, venant du haut des gradins face à nous, se déroula pour atteindre son envergure maximale en bas.

Puis, à l'extérieur du stade, des cris scandèrent inlassablement ces 3 syllabes : CA-NA-DA. La femme qui se trouvait à côté de moi, quant à elle, n'avait pas bougé.

Des larmes coulèrent sur ses joues. Elle fixait le drapeau canadien qui maintenant avait remplacé notre cher drapeau.

"-Ne vous inquiétez pas, madame, cette manifestation sera vite réprimée et, d'ici ce soir, tout reviendra dans l'ordre.", lui dis-je, pour tenter de la rassurer.

"Notre beau pays ... ils ne l'auront pas ..." répondit-elle, les mots se mêlant à ses sanglots.

C'est alors qu'elle se leva sans bruit, se tourna vers moi. Sur le T-shirt qu'elle portait était écrit :"D & L". Ces inscriptions, je les avais vu des centaines de fois. Enfant, nous cherchions , mes copains de classes et moi, à trouver sa signification possible. Mais, à l'heure où une révolution s'amorçait, elle nous expliqua qu'il signifiait: "Diversité & Liberté" et qu'il symbolisait "la lutte secrète de l'Amérique pour protéger ses enfants de l'ennemi".

 

L. P.

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