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Anchor 25012015

L'eau est tiède depuis quelques temps, et je suis seul. Mon algue, là où je me cachais souvent, n'est plus là. Je voyais encore des humains passer devant la vitre mais plus maintenant. Il n'y a que la lumière qui éclaire l'extérieur. Je me pose des questions : pourquoi tant de haine ? pourquoi tant d'indifférence à mon égard ? 
J'ai pourtant été le témoin de toute une vie, de ces êtres qui s'agitent devant moi à me regarder, qui passent leur temps comme moi à aller et venir, à pratiquer le sexe comme un exercice physique ( j'ai encore du mal à comprendre le mystère de la fornication sans fécondation ) et à me faire tomber des miettes dans l'eau. Elles me manquent d'ailleurs, ces miettes, qui brillaient dans la lumière et dansaient dans les remous, alors que je les pourchassaient dans le but d'attraper ce qui finalement devint ma nourriture.
Et même si ces êtres passent pour des maîtres dans l'art de fumer des compatriotes pour les consommer, je leur dois mon existence prolongée alors que j'allais finir dans des profondeurs sombres, moites, humides, nauséabondes et à côtoyer des choses dures et colorées.
Alors oui, j'aurais pu avoir un meilleur destin comme me faisait toujours remarquer mon colocataire, qui m'avait fait part de ses projets de revenir aux sources. Mais j'étais heureux, sans les inconvénients de la vie sauvage, où il faut se battre contre les courants, fuir devant l'ennemi, pour avoir le droit de vivre. Ces humains appellent çà "job" et ont l'air de le vivre assez bien, moi j'appelle çà l'enfer ! 
Mais maintenant qu'il n'y a plus rien autour de moi, je me dis que le confort va sans doute prendre fin. 
Est-ce le destin qui se retourne contre moi ? 
D'ailleurs, je sens le poids changer de camp : il passe des grammes de mon corps à celui des pensées de mon esprit, dans lequel vient s'accumuler toutes mes peurs de petit être qui finalement, aurait mieux fait d'affronter cette vie sauvage que de l'éviter. J'ai beau me triturer les neurones pour positiver cette situation inédite, je suis bien trop faible pour changer de cap. Je préfère me laisser porter par les courants de mes idées noires, et m'échouer sur une île où tout irait pour le mieux, sans prédateur et sans humain.

 

L. P.

Une dernière bulle

En l'an de grâce 1299, un jeune prince, nommé Baudouin, se morfondait dans son château.
Il avait beau avoir toutes les femmes à ses pieds, tous les plats les plus délicieux et les plus beaux habits, il était toujours préoccupé et dissipé. 
Bien que son peuple soit des plus prospères, il ne le connaissait pas.
Ses terres généreuses étaient bien gardées mais il n'y avait jamais mis les pieds.
Et c'est au cours d'une de ces éternelles séances de lectures matinales organisées par son instructeur personnel que ce cher Baudouin fit, d'une voix au son tonitruant, une déclaration qui changea la vie de toute la cour :
- Je ne crois plus en rien, même en mon pays.
L'instructeur, qui avait toujours réponse à tout, lui répondit :
- Prince, votre bile vous tourmente encore une fois, vous devriez prendre du sérum de cet apothicaire, dont l'échoppe se trouve dans les monts d'Arrée.
- Ne serait-ce pas ce lieu, dont la légende veut qu'un vieil homme et une vieille dame auraient rendu la fertilité aux terres arides sur lesquelles se lamentaient les villageois ?
- Cela même, cher Prince. 
- Mais c'est très loin, il nous faudrait un an au moins pour nous y rendre ? Et les traités de paix ? Qui va les signer ? Et la fête annuelle du royaume ? Qui va la célébrer ?
- Point de tracas, vous ferez tout cela !
Une fois les chevaux préparés, le prince et 50 de ses plus fidèles serviteurs se mirent en route.
Mais le trajet fut jonché de nombreux pièges et plus les mois passaient, plus la détermination s'émoussait à mesure que ses hommes perdaient la vie.
Mais le mal qui le rongeait était si profond qu'il ne pouvait se résigner à abandonner.
Après un an passé à traverser les plaines et les rivières, il atteignit enfin, avec 12 de ses serviteurs qui avaient su l'épauler et l'encourager, dans le village que lui avait indiqué son instructeur.
Mais les portes qu'ils trouvèrent devant lui se ressemblaient toutes.
- Me voilà devant une situation que mon instructeur aurait qualifié d'ubuesque. Comment vais-je trouver cet apothicaire ?
L'un des serviteurs prit la parole :

- Cher Prince, si la raison ne peut hélas vous aider, alors que parle votre coeur.
Baudouin se dirigea alors vers chaque demeure, mais devant l'une d'entre elles, une sensation soudaine de chaleur l'envahit.
Il entra, laissant ses serviteurs dehors.
- Suis-je bien chez vous, Mr l'apothicaire ?
Des bruits de pas sourds se firent entendre au plafond, puis des marches craquèrent et enfin, une petite ombre apparut. Elle laissa place à un vieil homme pourvu d'une barbe blanche. 
- Vous n'êtes point riche et bien habillé, comme tout apothicaire ? dit le prince, s'étonnant de la vétusté des lieux et du peu de goût vestimentaire qu'avait le vieil homme.
- Si, je le suis, mais c'est le mal qui vous ronge qui vous rend aveugle.
J'ai pour vous un élixir qui devrait vous guérir, sauf si vous en buvez la totalité du flacon. Mais votre coeur triste est profondément bon et cela n'arrivera pas.
Il but une gorgée du liquide et le rendit à l'apothicaire.
- Je ne sens rien de neuf en moi.
- C'est justement bon signe, cher Prince. Cet élixir ne change que les mauvaises personnes. Votre bonté et votre sens de l'honneur n'en fait qu'un simple sirop. 
- Voulez-vous dire que les gens comme moi n'ont pas besoin de produit miracle pour guérir de leurs tourments ?
- C'est bien cela, cher Prince.
- J'aimerais, si vous le permettez, prendre un peu de cet élixir, j'ai quelques ennemis qui auraient bien besoin de cette sagesse liquide.
Il remercia le vieil homme, et s'en retourna avec ses serviteurs dans son royaume, se découvrant un entrain et une joie de vivre que ses compagnons de route saluèrent.
De retour dans son palais, il fit convoquer un de ses plus fidèles conseillers et lui fit boire l'élixir.
- Quelle merveille ! Je sens en moi des gargouillis au pouvoir magique de guérison et au goût fabuleux, tout comme vous, cher Prince Baudouin !
- Vous voila démasqué, espèce d'hypocrite ! Votre esprit est fin mais votre coeur est fait de haine et de pouvoir ! Je comprends maintenant pourquoi j'avais tant de tourments : à vouloir me protéger et me glorifier, vous m'avez empêché de profiter de mon peuple.
Le scélérat fut condamné à être écartelé devant tous les habitants du royaume.
Une confiserie, qu'on nomma papillote, fut créée à cette occasion. Elle était attachée sur les arbres du royaume et chaque 25 décembre, les papillotes étaient détachées et mangées par tous les habitants, en souvenir de cet évènement. Plus tard, des hommes déguisés comme l'apothicaire des Monts d'Arrée prirent soin de fixer les papillottes et l'élixir, faite à base de caramel et d'eau devient boisson traditionnelle du royaume.

 

L.P.

L'élixir du sir Baudouin

36 heures que mes mollets ont pris le départ de la course. Faut avoir un grain pour se lancer dans une odysée pareille.

Les règles sont stricts : 3 vies à consommer, une carte du monde, un vélo  tout chemin 10 vitesses , et une capsule contenant les moyens de subvenir à nos besoins vitaux pendant quinze jours : 10 litres d'eau dans une bonbonne, cinq kilos de nourriture , dont 2 de fruits, un poulet, et des fruits secs. Je les enumère en premier car c'est ce que je viens de consommer en une journée.

Lorsque j'ai franchi la ligne de départ, ce 15 juin 2020, près du port autonome de Marseille, je n'avais pas jugé bon de prendre connaissance du règlement : ayant régulièrement pratiqué la discipline à haut niveau, mon cerveau faisait automatiquement les diagnostics de mon état de santé, à la manière d'un pilote chevronné ferait avec son avion avant de décoller.

Colonne vertébrale, articulations, pression sanguine, état de la lymphe, capacité respiratoire, rien ne lui échappait. La routine, quoi.

Les débuts dans le domaine étaient compliqués mais mon frère, ma soeur savaient dans quoi ils m'embarquaient ; je n'avais qu'à les écouter, suivre leurs instructions, leurs conseils pour ne pas finir sur un lit d'hôpital comme un vulgaire débutant, inconscient des innombrables dangers qu'une aventure de ce genre peut comporter.

A l'inverse des autres compétiteurs, j'avais un avantage de taille : je n'existais pas réellement. Je pouvais donc me décomposer et me recomposer à l'infini, sans faire souffrir inutilement mes muscles et mes os, les premiers à être victimes de la douleur.

Plus vous cherchez à tenir la douleur, plus vous fatiguez, et plus vous devenez sensible au moindre effort. Dans mon cas, le douleur ne s'installe pas, je la "déstructure".

La capitale phocéenne n'était plus qu'un lointain souvenir quand j'arrivai à hauteur de Lyon. 

Je fis une brève consultation de la carte pour décrypter mon prochain point de passage : c'était la hall Tony Garnier. Là encore, peu de gens savent décrypter rapidement une carte d'orientation. 

Certains se livrent à une recherche sur Google des différents mots-clés qui composent l'indice laissé par les organisateurs pour déterminer chaque point, mais c'est souvent inutile car les personnes qui rédigent ces mots souffrent de déficiences mentales : si c'est une personne dyslexique qui se charge de la rédaction, seule un candidat dyslexique peut correctement déchiffrer les mots-clés.

-"Bonjour, vous êtes arrivé au point numéro 1. Le contrôle ne prendre que quelques secondes. Veuillez approcher l'oeil gauche du capteur." 

Mais , bizarrement, rien ne se passa. Le voyant rouge resta furieusement rouge. 

Deux policiers s'approchèrent alors et m'intimèrent l'ordre de les suivre. Après avoir pris l'ascenseur avec eux, direction le sous-sol, je fus conduis et  jeté, sans explication aucune, dans une cellule , avec pour seule lumière, celle du couloir, qui traversait les barreaux de la porte en acier.  

Mes affaires m'avaient été confisquées et, dans cet étroite pièce lugubre, un livre à pagination inversée, comme dans les mangas, traînait sur le banc. 

Devais-je compter sur ce livre pour envisager une évasion ?

Je tournais en rond, dévisageant à chaque tour, cet ouvrage mystérieux, truffé de symboles incompréhensibles et de visages tantôt hilares, tantôt colériques. C'est alors que je vis apparaître, au-dessus de ma tête, un point d'interrogation qui tournait sur lui-même. Je voulus le saisir mais rien n'y faisait, c'était un hologramme. Je continuais à marcher, tout en me dirigeant vers ce livre. Soudain, après une heure d'effort, le livre s'ouvrit tout seul, et tous les symboles se traduisirent instantanément, laissant le message suivant :"Quand tu trouveras le moyen de renoncer à ce qui t'es cher, tu pourras l'obtenir" . Il était évident que c'était la liberté dont il s'agissait mais, rien dans cette cellule n'allait m'aider à trouver la solution.

 

L. P.

 

Cours, Mario, cours
Anchor 04012015
Anchor 23122014
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